Jusqu'à l'aube des années 60, les démarches novatrices étaient disséminées au milieu d'œuvres traditionnelles, voire conventionnelles. Après la présentation des Quatre Cents Coups de François Truffaut, en 1959, la venue de plus en plus grande de journalistes et de critiques spécialisés (Aldo Kyrou, Robert Benayoun, Jean Douchet, Georges Sadoul, Jean-Louis Bory... pour s'en tenir aux Français, tout en signalant que des personnalités aussi exigeantes venaient de tous les horizons), le Festival devient de plus en plus une rencontre cinéphilique. En 1962, des journalistes fondent la Semaine de la critique, première des sections parallèles, consacrée à la découverte de premiers et seconds films du monde entier, en général négliges par la sélection officielle. Bemardo Bertolucci, Jerzy Skolimowski, Philippe Garrel, Otar Iosseliani, Alain Tanner entre autres y présentent leurs films de jeunesse. De nombreux cinéastes remarqués dans ce cadre concourront plus tard en compétition. En 1969, sur les brisées de Mai 68, une autre section, la Quinzaine des réalisateurs, voit le jour : ce sont les cinéastes qui, à travers le délégué général de la rencontre, Pierre-Henri Deleau, choisissent les films en toute liberté. Cannes devient une fête essentiellement dévolue aux films et à la découverte de nouveaux talents, tandis qu'un aréopage d'« auteurs maison » (Martin Scorsese, Wim Wenders, Nikita Mikhalkov, Shohei Imamura, Emir Kusturica, Abbas Kiarostami...) voient chacun de leurs films présentés dans une section ou une autre. En 1978, le nouveau délégué général Gilles Jacob crée Un certain regard, une section parallèle « officielle », et aussi le prix de la caméra d'or, qui récompense un premier film dans n'importe quelle sélection, tandis que Cinémas en France (anciennement Perspectives du cinéma français) montre les meilleurs films hexagonaux.

De l'utilité des festivals

Dans les années 20, des critiques comme Louis Delluc ou Riccioto Canudo tentaient de légitimer le cinéma en tant qu'art à part entière. Dix ans plus tard, face à une industrie toute-puissante qui détruisait les vieux films, des jeunes gens enthousiastes, tel Henri Langlois, en France, fondèrent des cinémathèques pour préserver la mémoire du cinéma. À cette même époque, d'autres pionniers pensaient qu'il serait intéressant de créer des lieux destinés à confronter les œuvres modernes de différents pays. Ces manifestations se sont appelées « festivals ». Bien qu'il y ait eu une tentative allant dans ce sens à Milan, dès 1910, le premier véritable festival, celui de Venise, est fondé en 1932. Malgré une censure vigilante, Venise accueille en 1934 des films aussi surprenants que le Grand Jeu de Jacques Feyder, la Reine Christine de Rouben Mamoulian et Extase de Gustav Machaty – un des premiers films à montrer une nudité féminine. Mais au fur et à mesure de l'approche de la guerre, l'Italie a tendance à primer des films du puissant allié allemand. En 1938, les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, une bande-fleuve sur les jeux Olympiques de Berlin de 1936, est primée en dépit du règlement du festival qui interdit de récompenser un documentaire. Dans plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, on rêve d'un festival du monde libre. Ce festival sera celui de Cannes.

Il faudra attendre 1976 pour que Cannes puisse sélectionner les films qu'il désire. Avant, les pays eux-mêmes envoyaient les films qu'ils souhaitaient. On se souvient toutefois de la bataille que mena Robert Fabre Le Bret contre les Soviétiques pour obtenir qu'Andreï Roublev, de Tarkovski, fût projeté hors compétition en 1969. Défait, une sélection à Cannes permet à des cinéastes vivant sous des latitudes peu clémentes, tel l'Iranien Abbas Kiarostami, de bénéficier d'une certaine intouchabilité. Mais, pour autant, la bataille pour la liberté d'expression n'est pas gagnée. Ainsi, les Chinois refusèrent, en 1997, l'année du cinquantenaire, de laisser concourir Keep Cool, le film de Zhang Yimou.

Un festival reflet du monde

À l'instar de certaines demeures japonaises où le design côtoie les estampes du xvie siècle ou le mobilier de l'ère Meiji, tout s'ajoute à Cannes. Le temps des films d'auteur n'a pas pour autant chassé les vedettes : les visites d'Elizabeth Taylor, d'Isabelle Adjani, de Jeanne Moreau ou de Sharon Stone constituent encore des événements, mais qui n'intéressent qu'une fraction des festivaliers : les photographes, les gens de télévision (qui souvent ignorent les films au profit d'une couverture people du Festival) et les Cannois pour qui la montée des marches du Palais constitue le must de la journée. Depuis la fin des années 60, le Festival s'est clivé en une foultitude de petites tribus. Si la Semaine de la critique a créé une brèche, celle-ci concernait surtout les gens de cinéma.