Chez les pédophiles, qui agissent en dehors de la cellule familiale et doivent être clairement différenciés des pères incestueux, on constate plus de condamnations antérieures pour infractions sexuelles et moins de condamnations pour atteintes contre les biens que chez les auteurs de viols. La reconnaissance de l'infraction est habituelle, de même que la demande de prise en charge et de traitement. La culpabilité ou la honte sont souvent verbalisées. Par contre, le sujet a tendance à minimiser l'incidence de son comportement sur la victime, décrite comme demandeuse sur le plan affectif. Les pédophiles, volontiers infiltrés dans des professions les mettant en contact continu avec des enfants, ont souvent subi dans leur propre enfance des violences sexuelles et physiques, et présentent couramment des troubles psychiques liés à des carences affectives et éducatives (ce qui témoigne de l'importance du travail social et médico-psychologique de prévention chez l'enfant victime de maltraitance). Les auteurs de passage à l'acte pédophilique ont de longue date des relations difficiles aux adultes : la femme est vécue comme menaçante et dévoreuse, et les rapports avec les hommes sont marqués par la soumission ou l'affrontement. Les actes criminels surviennent souvent dans des moments de crise, marqués par un désarroi qu'il convient d'apprendre au sujet à reconnaître.

Trois types de personnalités

Trois types de personnalités sous-jacentes peuvent être isolés chez les auteurs d'atteintes aux mœurs. On rencontre, tout d'abord, des sujets ayant souffert d'une carence affective et éducative lors de l'enfance, au psychisme peu organisé et présentant en général une insuffisance intellectuelle. Leur passage à l'acte est souvent de l'ordre de la violence par défaut de maîtrise pulsionnelle, parfois favorisée par l'alcoolisme ou des moments de détresse sociale. Leur prise en charge sera avant tout éducative et sociale, associée à un accompagnement médico-psychologique.

On peut identifier, ensuite, des sujets fragiles, toujours en quête d'identité à l'âge adulte, personnalités limites chez qui l'on retrouve passages à l'acte violents, besoin de séduction, défaillance du narcissisme primaire (sentiment de ne jamais avoir été aimé) et hyperexcitation sexuelle à certains moments de leur existence.

On peut mettre à part, enfin, des sujets pervers, stables, intelligents, bien organisés et insérés, qui ont besoin de séduire et peuvent multiplier les passages à l'acte. Ils sont violeurs, pédophiles, rarement pères incestueux. Si l'apport de la psychanalyse est indispensable pour aborder les auteurs de crimes sexuels présentant une structure perverse ou une perversion au sens clinique du terme (à partir des bases jetées par Freud dans ses Trois Essais sur la théorie de la sexualité), les limites de celle-ci, d'un point de vue thérapeutique, apparaissent vite, au point que la perversion est considérée par certains comme une contre-indication à un traitement analytique.

Prévenir plus encore que punir ou guérir

La prise en charge des auteurs de crimes et délits sexuels doit prendre en compte tout à la fois les données de criminologie clinique et l'analyse psychopathologique. Elle ne peut être que multipartenariale et bien des auteurs de crimes sexuels relèveront avant tout d'une prise en charge socio-éducative associée au suivi psychiatrique. Elle nécessite au préalable une évaluation clinique soigneuse, prenant en compte la reconnaissance éventuelle des faits et recherchant aussi la capacité du sujet à entreprendre un travail de psychothérapie. Elle ne peut s'entrevoir en cas de déni complet du passage à l'acte. C'est là un des problèmes liés au fonctionnement judiciaire français, qui, contrairement, par exemple, à celui en vigueur au Canada, assoit la défense non pas sur la reconnaissance des faits, la volonté d'amendement et une demande authentique de soins, mais sur l'irresponsabilité partielle ou le déni de l'acte.

L'action des pouvoirs publics

Depuis 1994, trois rapports réalisés par des professionnels à la demande des ministres de la Santé et de la Justice ont contribué à l'étude des conditions nécessaires à la mise en place d'un dispositif de soins : ils ont été présentés par les psychiatres Thérèse Lempérière et Claude Balier et par la pénaliste Marie Élisabeth Cartier. Centré sur la prévention des récidives, le projet de loi présenté en janvier 1997 par Jacques Toubon, alors garde des Sceaux, fut très critiqué par les médecins, qui ne pouvaient accepter le principe d'une condamnation aux soins. Repris par Élisabeth Guigou, il prévoit un suivi socio-judiciaire qui peut comporter une injonction de soins. Par ailleurs a été engagée une politique d'assistance et de soutien aux victimes. Sur le plan judiciaire, les auditions des enfants agressés devraient être limitées, le projet Guigou ayant plutôt retenu l'enregistrement des déclarations de l'enfant. Sur le plan sanitaire, il rend possible le remboursement des frais occasionnés par les soins consécutifs à l'agression et la mise en place de structures d'accueil médico-psychologiques développées.

Docteur Jean-Louis Senon