La mondialisation

L'émotion suscitée, dans le monde entier, par la mort de lady Diana, le 30 août 1997, a surpris par son ampleur. En Inde et au Pakistan, plusieurs personnes se sont même immolées par le feu. En Chine, la nouvelle n'a été donnée qu'en bref dans les journaux, mais les Occidentaux se faisaient arrêter dans les rues de Pékin par des habitants assoiffés d'information. Plusieurs milliards d'êtres humains connaissaient l'existence de lady Di et les détails de sa vie sentimentale. Un tel événement aurait été impossible il y a encore dix ans. Entre-temps, les frontières politiques et commerciales se sont estompées, les technologies de l'information ont connu une révolution : les distances ont raccourci. Jamais l'expression « village global », imaginée dès 1967 par le visionnaire Graham MacLuhan, n'a paru aussi pertinente. Le couronnement d'Elisabeth II avait été la première émission en mondovision, l'enterrement de lady Di a été la première émotion en « mondialisation ».

Apparu au début des années 90, le mot « mondialisation » est désormais entré dans le langage courant. Un peu comme le grand méchant loup, la mondialisation fait peur sans qu'on sache trop la décrire. Le phénomène est aussi abstrait que ses manifestations sont tangibles : les délocalisations d'entreprises se banalisent, les chefs d'entreprises sont de plus en plus exigeants, les produits de consommation sont de plus en plus homogènes, la télévision est envahie d'images exotiques, l'usage du courrier électronique devient courant, les grands groupes internationaux fusionnent sans fin, leur ancrage national s'estompe, la flexibilité du travail s'amplifie sans relâche, la puissance des marchés financiers ne cesse de s'accroître... C'est un peu tout cela, la mondialisation.

En France, on a pris l'habitude de lui associer le chômage, les inégalités, l'exclusion, les difficultés pour maintenir un État providence : une diabolisation qui arrange bien les gouvernants. Extérieure et irrépressible, elle est un bouc émissaire idéal pour faire oublier leurs responsabilités. Pourtant, d'autres pays – et pas forcément les plus libéraux – ont réussi à s'y adapter, préservant tant leur emploi que leur protection sociale.

Utilisée au singulier, l'expression de « mondialisation » (ou « globalisation ») est trompeuse. Il faudrait dire « les mondialisations ». Car, en réalité, trois phénomènes distincts sont à l'œuvre.

Premier phénomène, la fusion des marchés financiers

Pendant les années 80, la libération des mouvements de capitaux a conduit peu à peu tous les marchés financiers à n'en former qu'un seul, ouvert jour et nuit. Les capitaux se déplacent au gré des risques et des résultats, façonnant le monde. Tout dérapage, toute fragilité est sanctionné par une fuite des investisseurs : ce fut la crise du Mexique en 1995, celle des pays asiatiques en 1997.

Le marché est roi. Puissant, unifié, sans autorité de régulation digne de ce nom. C'est probablement la nouveauté majeure de cette fin de siècle, qui explique en partie les difficultés que rencontrent les Européens pour réduire leur chômage. En effet, avec la fusion des marchés financiers, les taux d'intérêt à long terme se sont unifiés, et stabilisés autour de niveaux réels élevés (environ 6 %). Quelle que soit leur nationalité, les entreprises, pour satisfaire leurs actionnaires, sont obligées d'afficher une rentabilité au moins aussi élevée que ces taux d'intérêt. Pour s'adapter à la nouvelle donne économique et financière et dégager des bénéfices conformes aux standards mondiaux, les grandes entreprises se sont assainies à marche forcée. Quant aux petites, elles se heurtent à des difficultés de financement.

Deuxième phénomène, la progression du commerce international

Alors que la richesse mondiale progresse d'environ 3 % par an depuis 1994, le commerce, lui, augmente de 8 %. Ce boom des échanges tient en partie aux décisions prises à l'issue des dernières négociations commerciales (l'Uruguay Round, signé en avril 1994), mais aussi à la disparition du communisme : plus d'un milliard d'humains (des consommateurs, mais aussi des producteurs) ont basculé d'un coup dans l'économie de marché.