Elvis Presley : un culte américain

Vingt ans, nul ne l'ignore, est le plus bel âge de la mort. Même si ce n'est qu'un « vingt ans après », l'anniversaire de la disparition d'Elvis a donné lieu le 16 août 1997, à Memphis, à un pèlerinage grandiose. L'Amérique et la diaspora des fans ont ressuscité le King, le temps de communier dans ce qu'il représente...

Car le culte d'Elvis, c'est d'abord et avant tout la célébration du rêve américain, dans une version « petit Blanc » au-delà de toutes les caricatures. Liturgie du rock, si l'on veut, mais avec un mot d'ordre : provinciaux du Sud profond et de tous les pays, soyez unis en Elvis, le pauvre gosse souffreteux venu au monde sous le toit de tôle d'une cabane en planches, et qui mourut – enfin, cela se discute – allongé sur le marbre de son palais plaqué or !

Il eut bien du mérite...

Comme tous les enfants nés le même jour, Elvis a eu sa chance : on a toujours sa chance aux États-Unis. Lui a su la saisir. Sa chance ? Une voix noire à peau blanche. Capable de chanter gospel ou country avec une identique ferveur. Presley n'a pas inventé le rock'n'roll. Il l'a blanchi, par hasard, en enregistrant dans une cabine à cent sous un disque destiné à sa mère adorée. Bon fils. Malgré sa moue de voyou et son déhanchement subliminal, ce coup de reins qui rend folles les filles. En quelques apparitions télévisées, Presley a donné du rythme aux frustrations de la jeunesse américaine tout en lui offrant une image présentable.

Plus besoin d'aller s'encanailler dans le « quartier chocolat », comme on nomme alors les ghettos noirs où se jouent depuis le tout début des années 50 rhythm'n'blues et rock'n'roll. Les adolescents blancs possèdent désormais leur idole. Un jeune homme exemplaire. Plus mignon que ce gros dodu de Bill Haley. Moins sauvage que Jerry Lee Lewis, pervers affiché, brièvement marié à une vague cousine mineure. Elvis donne concert sur concert. Le travail ne lui fait pas peur. Elvis vénère sa famille. Avec ses premiers gains, il offre à sa mère une Cadillac (ni une Chevrolet, ni une Plymouth, une Cad', signe extérieur absolu de réussite). Elvis se plie aux exigences de la patrie en effectuant son service militaire en Allemagne. Carrément le front de l'Est, alors qu'il aurait pu se la couler douce à Fort Lauderdale. Elvis s'impose décidément comme un des rares héros planétaires des années 50. Le culte du héros gentil et sexy vient narguer, dirait-on, celui rendu au vilain « oncle Joseph » (Staline), parfaitement dépourvu de ces deux qualités et tapi derrière son rideau de fer. Petite parenté de destin entre ces deux grandes figures médiatiques, une certaine « dépresleysation » fait écho à la déstalinisation quand Elvis rentre au pays, après deux ans passés sous les drapeaux. De navets hollywoodiens en bluettes sucrées, il se fait damer le pion par une nouvelle génération de rockers (Beatles, Rolling Stones) moins orthodoxes. Mais vêtu de son habit de lumière, cuir noir et sourire de diamant, le King devenu loser triomphe finalement de l'ingratitude des siens. Il effectue en 1968 un retour fracassant lors d'un show télévisé qui le propulse sur la route du panthéon américain : Las Vegas.

Il fut à l'image de son peuple

De la baraque en planches (l'étable), où il vit le jour, à ce mausolée de la culture populaire (la croix sur laquelle doit être expié le très répandu péché d'obésité) en passant par sa résurrection au NBC Show et Graceland, sa villa kitsch de Memphis (Terre sainte jamais échangée contre les hauteurs babyloniennes de Beverly Hills), la trajectoire christique vaut bien un culte indéfectible. Peut-être et certainement parce que Presley, bon p'tit gars, fils du dieu dollar resté près de son peuple, s'est lui même nourri (jusqu'à ce que mort s'ensuive) des mythes américains, avec tout ce que cela sous-entend de clichés et d'hypocrisie.

Managé par le « colonel » Parker, faux colonel mais vrai immigré clandestin, Presley n'a jamais manifesté la moindre reconnaissance envers Sam Philips, le patron des disques Sun qui l'a découvert puis vendu pour une poignée de cacahuètes à RCA. Loi du business. Loi du contrat.