Au Yémen, le régime issu des élections de 1995 atteint un certain équilibre de type tribal. Ses islamistes les plus radicaux émigrent au Soudan. Les autres, regroupés dans le parti de la Réforme (Islah), semblent s'assagir. Le rapprochement avec Riyad se confirme. Mais de sérieuses préoccupations demeurent : la précarité économique est persistante, et la dispute avec l'Érythrée à propos de l'île de la Petite Hanish ne trouve pas de solution. Malgré un accord signé à Paris, en mai, des incidents, qui semblent encouragés par des tiers, relancent trois mois plus tard le contentieux.

L'Irak et les Kurdes

Globalement boycotté par ses voisins et toujours en butte à l'acharnement américain, l'Irak continue d'embarrasser. Autour du pouvoir, l'année commence dans le drame. Le 23 février, deux gendres du président Saddam Hussein, le général Hussein Kamal Hassan et son frère Saddam, enfuis en Jordanie l'année précédente, apparemment repentis et revenus en Irak trois jours plus tôt, sont assassinés. Le vrai problème reste cependant l'état d'une société soumise depuis six ans à un embargo international draconien. Pour tenter d'y remédier, Bagdad et le Conseil de sécurité de l'ONU finissent par s'accorder le 20 mai sur l'application d'une résolution dite « pétrole contre nourriture », prise treize mois plus tôt. En fin d'année, cet arrangement qui permettrait au gouvernement irakien de distribuer sous contrôle environ un milliard et demi de dollars de vivres se heurte à des interprétations américaines restrictives et n'entre finalement en application qu'au mois de décembre.

Dans l'intervalle, une nouvelle crise oppose en septembre Washington et Bagdad à propos du Kurdistan, où l'armée irakienne apporte son soutien à Massoud Barzani, proche des Turcs, en lutte contre son rival Djalal Talabani, allié de l'Iran. Les Américains réagissent en bombardant le sud de l'Irak jusqu'aux lisières de la capitale et portent du 32e au 33e parallèle la « zone d'exclusion aérienne » du sud de l'Irak, suscitant chez leurs alliés de nombreuses réserves. Au nord, cependant, où les Américains organisent le repli de leurs nombreux agents, l'administration centrale tente de reprendre pied, dans une situation qui demeure confuse.

Chrono. : 20/02, 20/05, 3/09, 20/10, 10/12.

Turquie

Depuis le 28 juin 1996, pour la première fois dans l'histoire de la République fondée en 1923, la Turquie s'est dotée d'un gouvernement de coalition présidé par un Premier ministre islamiste, Necmettin Erbakan. Son accession au pouvoir consacre la progression du parti de la Prospérité (RP, pour Refah Partisi) dans un contexte général d'interrogations identitaires. Elle témoigne également de la crise des partis politiques traditionnels, enfermés dans leurs rivalités et incapables d'apporter une solution aux problèmes économiques et sociaux de la Turquie.

La nomination de M. Erbakan clôt six mois d'une crise politique déclenchée par la victoire du RP aux élections législatives de décembre 1995 (premier parti au Parlement avec plus de 20 % des suffrages). Pressenti début janvier par le président Süleyman Demirel pour former un gouvernement, faute d'avoir pu s'entendre avec le parti de la Mère Patrie (ANAP, centre droit) de Mesut Yilmaz sur un programme de coalition, N. Erbakan a d'abord dû renoncer sous la pression de l'armée et des milieux d'affaires hostiles au parti islamiste.

En mars, une alliance prévoyant une alternance du pouvoir est finalement conclue entre l'ANAP et le parti de la Juste Voie (DYP, centre droit) de Tansu Ciller. Cette coalition est cependant minée par des rivalités personnelles entre M. Yilmaz et T. Ciller, et par les accusations de corruption que lance le RP à l'encontre de cette dernière. Le gouvernement tombe finalement le 6 juin avec la démission de M. Yilmaz. M. Erbakan, dont le parti arrive en tête aux élections municipales partielles du 2 juin, est à nouveau chargé de former un gouvernement. Le fait que les députés du RP rejettent une demande d'enquête sur l'utilisation de fonds secrets par Mme Ciller autorise une alliance avec le DYP. Bien que Mme Ciller se soit longtemps présentée comme un rempart contre les islamistes, elle accepte finalement, le 27 juin, d'entrer dans la coalition. Elle est nommée vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Son parti détient 17 ministères (20 pour le RP), dont ceux de l'Intérieur, de la Défense, de l'Éducation nationale ainsi que la Direction des Affaires religieuses. L'accord conclu par le RP et le DYP prévoit une rotation à la tête du gouvernement dans deux ans. Le vote de confiance leur est accordé par le Parlement le 8 juillet 1996.