Au soir du 3 mars, en effet, le Parti populaire ne devance que de 300 000 voix le PSOE (38,85 % des suffrages contre 37,48 %) et ne remporte que 156 sièges de députés au Parlement (contre 141 au PSOE), manquant ainsi la majorité absolue d'une vingtaine de sièges. José M. Aznar doit à son tour, afin de disposer d'une majorité au Parlement, s'entendre avec les nationalistes, Catalans de la CiU (Convergence et union) de Jordi Pujol, Basques du PNV (Parti national basque), ou encore Canariens, alors qu'il accusait les socialistes de les favoriser au détriment des intérêts nationaux. Les tractations durent de longues semaines. De tradition plutôt centralisatrice et hostile à l'autonomisation croissante des régions, le parti de José M. Aznar passe avec les nationalistes des accords qui prévoient, notamment, une réforme du système de financement des autonomies, une participation plus directe de celles-ci à l'élaboration de la politique européenne décidée par Madrid, ainsi que la disparition des gouverneurs civils.

Conclu le 26 avril, cet accord permet à José M. Aznar de devenir le quatrième président du gouvernement depuis le rétablissement de la démocratie. L'ambiance plutôt sereine qui préside à cette cérémonie ainsi qu'à la mise en place de la nouvelle équipe gouvernementale – une équipe restreinte, qualifiée de « centriste », composée de quatorze ministres, dont quatre femmes, tous « animés d'un esprit de réforme » – contraste singulièrement avec le climat délétère de la campagne. Mettant fin à près de quatorze années d'hégémonie socialiste, cette paisible passation de pouvoir reflète une volonté commune de renouer avec l'impératif de réconciliation nationale qui avait guidé non seulement le roi Juan Carlos, mais aussi Adolfo Suarez et ses successeurs depuis la disparition du général Franco.

Prudence et rigueur

Pour contre nature qu'elle soit sur bien des points, l'alliance conclue entre José M. Aznar et Jordi Pujol traduit en revanche une conviction commune, celle de devoir tout mettre en œuvre sur le plan économique et social pour satisfaire aux critères de convergence européens. De cette même sensibilité à l'impératif européen et aux priorités qui en découlent, en matière de politique économique, procède une volonté de réduire fortement les déficits publics et d'éradiquer l'inflation. Le budget de 1997, présenté fin septembre, prévoit ainsi, au chapitre des dépenses, une diminution de près de 20 % du montant des investissements publics, ainsi qu'un gel des salaires des quelque deux millions de fonctionnaires. Une hausse importante des revenus de l'État est attendue d'un ambitieux programme de privatisation, dont le bénéfice servira toutefois pour une large part à recapitaliser des entreprises souvent déficitaires. Impopulaires, ces mesures suscitent de vives protestations de la part des syndicats, qui ont néanmoins, début octobre, signé avec le gouvernement un important accord sur la réforme du système des retraites. Financièrement insoutenable à long terme, compte tenu d'une pyramide des âges défavorable et de la générosité du dispositif antérieur, le système des retraites faisait figure de bombe à retardement. Sa réforme était l'une des priorités du gouvernement. En revanche, malgré le maintien d'une croissance soutenue, il risque d'être plus difficile de parvenir à honorer rapidement les autres promesses électorales, notamment celles concernant la baisse de la pression fiscale ou du chômage. Engagé dans un périlleux exercice de cohésion sociale après avoir, durant les premiers mois, privilégié la prudence et la concertation, José M. Aznar devra s'employer sans compter pour atteindre le but qu'il s'est fixé, celui de « redonner paix et tranquillité au pays ».

Chrono. : 8/01, 6/02, 3/03, 4/05, 20/07, 27/09.

Portugal, la vague rose

L'alternance politique s'est traduite au Portugal par un même souci de prudence et de rigueur qu'en Espagne. Large vainqueur des législatives d'octobre 1995, le Parti socialiste d'Antonio Guterres voit l'un des siens facilement élu le 14 janvier à la présidence de la République. À Jorge Sampaio (secrétaire général du PS entre 1989 et 1992), il incombe la lourde tâche de succéder à Mario Soares en préservant l'exceptionnelle « magistrature d'influence » que celui-ci avait su exercer au cours de ses deux mandats successifs. Président de « tous les Portugais », Jorge Sampaio s'est, dès la campagne électorale, posé en homme au-dessus des partis et des querelles partisanes. Mais, à la différence de son prédécesseur, il se trouve confronté à une situation totalement inédite depuis le rétablissement de la démocratie, celle où une même formation contrôle les principales institutions politiques du pays. Passé en quelques mois d'une hégémonie « orange » – la couleur emblématique d'un Parti social-démocrate – à une domination « rose », symbole d'un Parti socialiste recentré et acquis aux vertus du pragmatisme, le Portugal n'a pas, pour autant, brutalement basculé à gauche.