Jeannie la magnifique a déboulé dans la cour des grandes en 1979, à l'âge de vingt et un ans, en remportant le premier de ses 29 titres de championne de France. Dans les deux décennies suivantes, elle a trusté tous les honneurs, dans toutes les disciplines. Sujette à une constante boulimie de victoires, elle a tout essayé, même le VTT, et a tout gagné : sur la route (épreuves en ligne, contre-la-montre), comme sur la piste (courses aux points, poursuites). En dix-huit ans de carrière, elle est montée à 25 reprises sur le podium d'une compétition internationale, a remporté 11 titres de championne du monde et battu 7 fois le record de l'heure (le dernier en date : 48,159 km, en octobre 1996, à Mexico).

Ce palmarès en or brut, Longo l'a bâti avec un caractère en acier trempé. Fidèle à ses principes et à ses amitiés (elle n'a, par exemple, jamais cessé de correspondre avec Alain Carignon, même quand ce dernier se retrouva derrière les barreaux), elle s'est surtout rendue célèbre pour de solides inimitiés envers certains membres de la famille cycliste. Perfectionniste dans l'âme mais peu diplomate, la montagnarde de Saint-Gervais a toujours eu beaucoup de mal à accepter les compromis inhérents à la pratique du sport de haut niveau, quand ceux-ci risquaient de freiner ses performances. Ainsi, en 1991, alors qu'elle était l'incontestable no 1 mondiale, elle fut privée de Championnats du monde pour avoir refusé de courir avec les pédales d'un sponsor de l'équipe de France. Il faut dire, à sa décharge, que certains représentants de l'autorité fédérale n'ont pas toujours cherché à arrondir les angles, loin s'en faut. D'où une incompréhension mutuelle, faite d'accusations, parfois calomnieuses, et de procès devant les tribunaux. Ce climat malsain a eu des répercussions sur le terrain sportif. Pour plusieurs raisons, et notamment pour quelques entorses à la confraternité, Jeannie Longo et ses congénères de l'équipe de France n'ont jamais entretenu les meilleurs rapports, c'est un doux euphémisme.

Par réaction, la rebelle du peloton a plusieurs fois annoncé sa retraite, avant de changer d'avis après une période d'inaction incompatible avec son bouillonnant tempérament. En 1991, après l'« épisode des pédales de l'équipe de France », elle a même songé à changer de nationalité pour courir sous des cieux plus cléments. Plutôt que de s'exiler, Jeannie Longo a finalement choisi de se replier sur elle-même. En compagnie de son mari-entraîneur, Patrice Ciprelli, elle s'est réfugiée dans son chalet alpestre, dans les environs de Grenoble. La quiétude des lieux lui a permis de se ressourcer, comme à chaque fois qu'elle se sent agressée par le monde extérieur.