Portraits

La locomotive de Waco

Michael Johnson est une énigme vivante, un mystère qui défie les lois de la physique régissant le mouvement. L'homme qui, aux Jeux d'Atlanta, a réussi un inédit doublé 200 m - 400 m, celui qui, sur le tartan du Stade olympique du Centenaire, a porté le record du monde du 200 m à des sommets himalayens (19″ 32), cet homme-là ne sait pas courir. Les puristes sont formels.

Du reste, il suffit de le voir à l'œuvre. M. Johnson court comme un personnage de dessin animé : le torse bombé comme un soldat en tenue d'apparat, le menton pointé vers le ciel, la tête plus droite qu'un piquet trop rigide, les jambes qui moulinent comme un Daffy Duck pourchassant une proie imaginaire. À croire que le héros des Jeux d'Atlanta est sorti tout droit de l'esprit farceur de Tex Avery. Immanquablement, cette façon très particulière de se mouvoir sur le tartan lui a valu quelques surnoms peu flatteurs, comme la locomotive de Waco (ville du Texas où il réside).

Son entraîneur, Clyde Hart, avoue aujourd'hui que, en observant son protégé pour la première fois, il n'imaginait même pas qu'il puisse devenir un jour champion régional. Mais M. Johnson n'est pas du genre à renoncer facilement. Dès le début, malgré son style atypique, malgré les sarcasmes de jeunes athlètes plus doués que lui, il persévère et ne rechigne pas à l'effort. Jour après jour, mois après mois, il s'entraîne comme un forcené. La locomotive apprend vite, les résultats vont suivre...

Son premier succès significatif sur la piste, Michael Johnson l'obtient à vingt-quatre ans, en 1991. À Tokyo, il devient champion du monde du 200 m et signe un long bail avec la gloire. En 1992, une intoxication alimentaire le freine dans sa conquête du Graal olympique, mais il se rattrape l'année suivante en enlevant, à Stuttgart, le titre mondial du 400 m. Deux ans plus tard, aux Championnats du monde de Göteborg, il cumule les deux épreuves, pourtant difficilement conciliâmes, et devient le premier athlète à réaliser un doublé 200 m - 400 m. Il poursuivra sa quête d'absolu aux Jeux d'Atlanta, avec la réussite qu'on lui connaît. Cette réussite, M. Johnson la doit à une force de caractère hors du commun et à un entraînement tout scientifique basé sur deux notions qu'il chérit : le sérieux et la méthode.

C'est donc avec le plus grand sérieux et la meilleure méthode qu'il a mené en parallèle, au début de sa carrière d'athlète, des études de marketing. À l'université Baylor, à Waco, on garde le souvenir d'un étudiant assidu, toujours tiré à quatre épingles qui ne succombait jamais aux frivolités de son âge ! Bref, un garçon très (trop ?) raisonnable. Cet esprit consciencieux, Michael Johnson le cultive depuis le berceau. Enfant, il consacrait toutes les matinées de ses vacances à l'étude de ses livres d'école. Sa mère, institutrice, surveillait sa progression tandis que son père, chauffeur-routier, ressassait sans relâche les mêmes recommandations quant à l'avenir que lui, son frère et ses trois sœurs devaient s'assurer. Les parents Johnson, parangons de droiture de la middle-class texane, ont été récompensés de leurs efforts. Les trois filles de la famille sont aujourd'hui enseignantes, et le fils aîné est ingénieur. Le petit dernier, Michael, a, lui, décroché un diplôme de marketing. Accessoirement, il est aussi devenu la plus grande star de l'athlétisme mondial.

Hill, gentleman des circuits

« Atypique Daman Hill ? Je dirais plutôt que c'est un homme normal dans un milieu qui ne l'est pas. » Ce jugement émane de Jacques Laffite. Comme d'autres, l'ancien pilote s'est sincèrement réjoui du sacre du Britannique. À trente-six ans, Damon Hill, parfois incompris, souvent sous-estimé, a enfin rejoint son père Graham au palmarès du Championnat du monde de formule 1. Damon a gardé de son père la passion de la vitesse et du pilotage. Pas son style sur et hors des circuits. Graham était un pilote spectaculaire et un homme haut en couleur, véritable boute-en-train des paddocks. Son fils est d'un naturel discret, introverti, qui s'attarde le moins possible sur les circuits pour retrouver au plus vite la quiétude d'une vie familiale paisible. La morgue et l'artifice n'ont jamais été sa tasse de thé.