Conscients des risques que ce joyeux désordre peut impliquer pour la majorité à moins de dix-huit mois des législatives, Jacques Chirac et ses ennemis d'hier, les balladuriens – Édouard Balladur en tête –, tenteront de calmer le jeu et proposeront, dans l'intérêt du RPR et de l'UDF, une paix des braves. Sur la base d'une grande réconciliation.

Le PS retrouve des idées

Au nom d'un réalisme, lucide mais un tantinet exaspérant, Lionel Jospin, à force de répéter depuis sa campagne présidentielle qu'il ne fallait pas promettre ce que la gauche, une fois revenue au pouvoir, ne pourrait pas réaliser, commençait à désespérer ses plus fidèles soutiens. Avec lui, sa prudence et son souci, sans doute légitime après quatorze années de mitterrandisme, de conserver une culture de gouvernement, un européanisme bon teint à l'égard de toutes les contraintes de Maastricht et un profil bas à l'égard du pouvoir en place, les socialistes commençaient à s'interroger sur la capacité de leur premier secrétaire à leur fournir l'ébauche de l'esquisse d'une idée.

La troisième et ultime convention de leur parti sur la politique économique et sociale allait les rassurer. Enfin, ils avaient du grain à moudre. Enfin, le PS retrouvait le chemin des idées. Et des idées de gauche ! Face au libéralisme ambiant, à la tentation de la pensée unique et à la morosité de l'opinion, Lionel Jospin, à sa façon, leur offrait un « remake 1996 » du « Changer la vie » de François Mitterrand de 1981. Pour privilégier l'emploi des jeunes, notamment, et relancer l'économie, le rôle de l'État est clairement réaffirmé. Et si Lionel Jospin se refuse à toucher à la monnaie, le Parti socialiste – qui, non sans débat en son sein, fut le parti de Maastricht jusqu'à présent – pose des conditions strictes sur la réalisation de la monnaie unique (création d'un gouvernement économique européen, refus d'un pacte budgétaire contraignant, nécessité d'agir sur la parité entre l'euro et le dollar).

Le PS prévoit de relancer l'économie par des hausses de salaire et par des dépenses publiques. Il veut lutter contre le chômage par la réduction de la durée hebdomadaire du travail à 35 heures et par la création de 700 000 emplois pour moitié publics et pour moitié privés. Une réforme fiscale (baisse sélective de la TVA et hausse de l'impôt sur les plus hauts revenus) est également annoncée.

Si la droite et plusieurs experts dénoncent dans ces propositions un retour à un dirigisme dépassé, à en croire un sondage, 61 % des Français croient ces solutions efficaces pour combattre le chômage.

Front républicain et Front national

Face à la précarité de l'emploi et à l'incapacité, semble-t-il, des gouvernements successifs de répondre au problème du chômage, face aussi aux contraintes du traité de Maastricht qui font de l'Europe un bouc émissaire idéal, une partie de l'électorat, les sondages le montrent, est tentée par le vote protestataire. Le parti de Jean-Marie Le Pen engrange. N'empêche : par deux fois, lors d'une élection législative, à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, pour remplacer Bernard Tapie, et lors d'une élection municipale, à Dreux, ville symbolique, dans l'Eure-et-Loir, le Front national a été tenu en échec par un front républicain qui ne voulait pas dire son nom mais qui a prouvé son efficacité.

Il est fini le temps où, par crainte de « diaboliser » Jean-Marie Le Pen, certains pouvaient affirmer, comme Laurent Fabius, qu'il apportait de mauvaises réponses à de bonnes questions, ou, comme Charles Pasqua, qu'il défendait des valeurs proches de celles d'une partie de la droite. Aujourd'hui, tous sont convaincus que la nécessaire bataille politique ne tolère aucune concession aux idées du Front national, dont le leader, cinquante ans après l'Holocauste, ose affirmer publiquement que les « races sont inégales ». Alain Juppé, tout aussi publiquement, lui rétorque qu'il est « raciste, antisémite et xénophobe ».

À Gardanne, c'est la droite qui s'est effacée, au second tour, devant le candidat communiste, Roger Meï. À Dreux, c'est la gauche qui a laissé le champ libre, au second tour toujours, au maire sortant, le RPR Gérard Hamel. Dans les deux cas, les candidats du Front national ont frôlé la barre des 40 %. Un score impressionnant quand on sait qu'ils jouaient seuls contre tous les autres partis. Mais, à Gardanne comme à Dreux, en dépit des réticences, les électeurs de droite et de gauche se sont bien reportés pour faire triompher soit le communiste, soit le RPR.