Rien d'étonnant donc que le président Lech Walesa construise sa campagne électorale autour du combat contre l'« offensive des forces de l'ancien régime ». Il saisit toutes les occasions pour engager une véritable guerre contre la coalition au pouvoir. Profitant d'une controverse autour de la loi budgétaire, il menace en février de dissoudre le Parlement. Jugée contraire à la Constitution, cette proposition se heurte non seulement aux partis de la coalition mais aussi aux critiques des anciens amis et conseillers de L. Walesa, notamment du principal parti de l'opposition, l'Union de la liberté (UW).

Le Président ne réussit pas à dissoudre le Parlement mais obtient un changement à la tête du gouvernement. Le jeune Premier ministre paysan, Waldemar Pawlak, en fonction depuis l'automne 1993, est remplacé en mars 1995 par un ancien apparatchik de l'ex-Parti communiste polonais, Jozef Oleksy. La formation d'un gouvernement dirigé par un ex-communiste facilite la tâche de L. Walesa, d'autant plus que l'Église catholique, outrée que le Parlement repousse constamment la ratification d'un concordat signé en 1993 avec le Vatican, s'engage dans une critique ouverte du gouvernement.

Tout au long de l'année, L. Walesa essaye de discréditer le gouvernement, notamment en bloquant toute une série de lois. Ses raisons sont surtout électorales, mais certaines lois possèdent effectivement un caractère ambigu, notamment la nouvelle loi sur les privatisations, libérale en apparence mais pouvant conduire aussi à l'arrêt du processus de privatisation. Le Premier ministre mobilise dans la plupart des cas la majorité nécessaire pour rejeter le veto du Président.

D'autre part, malgré de nombreuses tentatives, L. Walesa ne réussit pas à reconstruire l'unité de l'ancien camp de Solidarité. Face au candidat de la gauche ex-communiste (dont le programme est par certains côtés plus libéral que socialiste, ou même social-démocrate) Alexandre Kwasniewski, de nombreux autres candidats se présentent au premier tour des présidentielles ; parmi eux, d'anciens amis de L. Walesa, comme Jacek Kuron, figure emblématique de l'opposition démocratique, et Hanna Gronkiewicz-Waltz, présidente de la Banque nationale polonaise, nommée à ce poste par L. Walesa lui-même. Cependant, le chef de l'État semble être le seul à pouvoir affronter le candidat ex-communiste, arrivé en tête à l'issue du premier tour. La victoire au second tour de A. Kwasniewski, par 51,4 % des suffrages exprimés, marque plus la fin de la légende du mouvement Solidarité qu'une nostalgie de l'ancien système. L'engagement insistant de l'Église catholique à la fin de la campagne électorale a sans doute joué un rôle important dans la défaite du président sortant, certains Polonais ayant mal supporté les pressions du clergé en faveur du vote Walesa. Le retour d'un ex-communiste à la tête de l'État provoque cependant une telle émotion que plusieurs centaines de milliers de lettres sont adressées à la Cour suprême pour réclamer l'annulation de l'élection présidentielle.

Chrono. : 7/02, 5/11, 19/11, 23/12.

Hongrie

L'exemple de la Hongrie montre que le retour au pouvoir des anciens communistes ne conduit pas nécessairement à l'arrêt ou au ralentissement des réformes économiques et politiques. Le gouvernement dirigé par Gyula Horn (ministre des Affaires étrangères dans le dernier gouvernement communiste d'avant 1990) fait même preuve de beaucoup plus d'« esprit libéral » que l'équipe précédente. Il est vrai que la situation du pays est catastrophique. Considérée au début des années 1990 comme le pays le plus avancé dans la mise en place d'une économie de marché, la Hongrie doit faire face aujourd'hui à toute une série de problèmes qui diminuent sa crédibilité dans le monde (dette étrangère de 24 milliards de dollars, déficit commercial de 4 milliards de dollars, déficit budgétaire de 8 % en 1994, inflation en hausse prévue à 22 %).

Au début de l'année, après la décision du Premier ministre d'annuler au dernier moment la privatisation de l'entreprise « Hungar-Hotels » et la démission d'un ministre des Finances libéral, Laszlo Bekesi, qui depuis plusieurs mois dénonçait le manque d'action du gouvernement, les investisseurs et les observateurs étrangers craignent le pire. Pourtant, le programme d'austérité, présenté par le nouveau ministre des Finances, Lajos Bokros, lève toutes les ambiguïtés. Les mesures proposées sont si draconiennes que le Tribunal constitutionnel y oppose son veto. L'introduction intégrale du programme aurait entraîné la remise en cause du système de protection sociale, dont le financement dépasse déjà les 25 % du PIB.