L'un des défis majeurs auxquels l'Europe en formation se trouve confrontée est le défi monétaire, comme l'ont prouvé cette année, à nouveau, de fréquentes divagations monétaires. Les distorsions accentuées des monnaies européennes entre elles plaident une nouvelle fois en faveur d'une monnaie unique. On est bien conscient, à Bonn comme à Paris et dans d'autres places de l'Union, que plus la monnaie unique se fera attendre, plus la spéculation internationale aura intérêt à jouer le mark contre le dollar et inversement, ou les monnaies fortes de l'Union contre les plus faibles.

Si, début 1995, il existe dans les gouvernements, les institutions européennes, les milieux financiers, beaucoup de monde pour plaider en faveur de la monnaie unique dès 1997, le Conseil des ministres des Finances, réuni à Luxembourg le 19 juin, doit reconnaître que la seule hypothèse réaliste est celle du 1er janvier 1999.

La Commission européenne publie au cours du printemps 1995 un « livre vert » estimant que trois ans au maximum après la décision fondamentale de passer à la monnaie unique – nous serions alors en 2002 – les nouveaux billets et pièces devront être introduits sur le marché. L'échéance de la monnaie unique au 1er janvier 1999 signifierait donc seulement le gel des taux de change des monnaies reconnues aptes au franchissement de la troisième étape de l'Union économique et monétaire.

Le poids de l'Allemagne dans le débat monétaire ne cesse de se faire sentir. C'est d'abord la déclaration du ministre allemand des Finances, Theo Waigel, déclarant inopportun (parce qu'inadapté à la langue allemande) le nom de ECU pour désigner la monnaie unique – bien que ce nom figure explicitement dans le traité de Maastricht. Puis, alors que les Quinze se sont séparés en juin au Conseil européen de Cannes en proclamant leur fidélité à l'objectif « une monnaie unique au plus tard le 1er janvier 1999 », il est décidé que les modalités pratiques de passage à la monnaie unique seront réglées avant la fin de l'année et adoptées par le Conseil européen de Madrid des 16 et 17 décembre 1995. Mais, en septembre, le débat s'aigrit avec l'apparition, au sein de l'Institut monétaire européen, de divergences entre gouverneurs des banques centrales sur les modalités techniques de passage à l'euromonnaie, de même que sur les relations qui devraient exister, à partir de 1999, entre les pays de l'Union acceptant la monnaie unique et ceux qui ne participent pas à sa création. Le 12 septembre, le commissaire européen Yves-Thibault de Silguy, en charge du dossier monétaire, est froidement accueilli à Bonn par l'assemblée des chambres de commerce allemandes. Observation la plus fréquente : « l'union monétaire sera un désastre si elle n'est pas contrebalancée par une union politique ». Trois jours plus tard, Theo Waigel, au cours d'un Conseil des ministres qui se tient à Augsbourg, lance une bombe : il déclare que la procédure prévue par le traité de Maastricht sur les déficits n'est pas à elle seule suffisante, que des engagements supplémentaires en matière de discipline budgétaire après la troisième phase de la monnaie unique sont mauvais « pour maintenir durablement les déficits budgétaires au-dessous de 3 % » en 1999. Le ministre allemand indique également que l'Italie, bien que pays fondateur de la Communauté, ne fera pas partie du premier groupe de pays participant à la monnaie unique, ainsi probablement que la Belgique, en raison de la situation de leurs finances publiques. Theo Waigel n'épargne même pas les Pays-Bas et laisse percer quelques doutes sur la situation monétaire et financière en France, au moment, il est vrai, où le Premier ministre français Alain Juppé parle de « péril national » en évoquant la situation des finances publiques dans son pays.

La divulgation de ces propos (pourtant tenus dans une réunion à huis clos) suffit à provoquer une nouvelle vague de remous monétaires et politiques, dont le Conseil de Formentor fait les frais. Le chancelier Kohl doit s'employer, à Majorque d'abord, puis devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, fin septembre, à dissiper les doutes croissants qu'ils ont contribué à développer. Il est vrai que le débat européen sur la monnaie unique se double d'un débat entre Allemands quand le groupe parlementaire SPD (opposition sociale-démocrate) fait savoir au Bundestag qu'il ne donnera son accord à une monnaie européenne que s'il est assuré que cette monnaie sera aussi stable que le Deutsche Mark. L'ancien chancelier social-démocrate Helmut Schmidt accuse la Bundesbank, dans la presse allemande et française, de vouloir « torpiller » l'union monétaire. Une étude de la Deutsche Bank publiée le 2 octobre paraît clore momentanément ces polémiques – qui s'étaient déjà apaisées le 30 septembre à Valence (Espagne), où les ministres des Finances s'étaient employés à rassurer l'opinion et à calmer les marchés. Il y est écrit, notamment : « La politique de la France, en matière de finances publiques, est un facteur clé de l'Union économique et monétaire » constate la Deutsche Bank, pour qui la réduction des déficits publics français de 5 % à 3 % paraît décisive, tant « une union monétaire sans participation simultanée de l'Allemagne et de la France n'est pas imaginable ».

Le sommet européen de Madrid

Soucieux de mettre un terme aux différentes controverses, les Quinze se sont mis d'accord à l'unanimité, lors du sommet des 15 et 15 décembre à Madrid, sur toutes les modalités du passage à la monnaie unique : la dénomination de la nouvelle monnaie sera « euro » ; les candidats seront jugés en fonction de leur respect des critères de Maastricht, début 1998 ; enfin, les Quinze ont fixé les conditions d'émission de la dette publique après le passage à la monnaie unique de 1999.

Dans la lignée de l'accord de partenariat global conclu le 28 novembre lors du sommet de Barcelone entre l'UE et une douzaine de pays du Maghreb et du Machrek, auxquels s'étaient ajoutés la Turquie, Chypre et Malte, un nouvel accord est signé le 16 décembre avec le Mercosur qui prévoit, à partir de 2001, un passage vers le libre-échange entre la zone européenne et la zone sud-américaine.

Jean-Pierre Gouzy