Que le formidable effet de la bombe atomique ait accéléré la reddition du Japon ne fait aucun doute. Pourtant, la situation du Japon au début de 1945 est déjà largement critique. L'archipel est systématiquement bombardé : raids contre le centre industriel de Nagoya (22 déc. 1944), contre les usines Mitsubishi (3 janv. 1945), contre les établissements Kawasaki (19 janv.). Enfin, le 10 mars, 20 % de la superficie de Tokyo sont rasés (120 000 victimes). Seront à leur tour la cible des B-29 américains les villes de Nagoya (12 mars), d'Osaka (14 mars), de Kobe (17 mars), puis de nouveau Tokyo (13 avr. et 24 mai). La reddition de la garnison japonaise de l'île d'Okinawa met fin, en juin, aux combats terrestres et prélude à une recrudescence des raids aériens. Toutes les cités de moins de 100 000 habitants qui tiennent un rôle appréciable dans la production industrielle essuient de formidables bombardements, à l'exemple de Toyama, détruite à 97 % en une seule vague d'assaut. La vie normale cesse peu à peu et la production industrielle devient pratiquement nulle.

Face à une situation aussi dramatique, l'empereur Hirohito est contraint de sortir de sa réserve. Le 7 avril, il remplace le général Koiso, Premier ministre, par l'amiral Suzuki, opposé de longue date à l'aventurisme militaire. Mais le clan belliciste est encore tout-puissant. Quoi qu'il en soit, le Japon se décide, en juin, à solliciter la médiation des Soviétiques, dans l'ignorance où il est que Staline s'apprête à rompre le pacte de non-agression qui lie Tokyo et Moscou depuis le 13 avril 1941.

De Potsdam, les trois « Grands » adressent un ultimatum au Japon : en l'absence d'une reddition totale, celui-ci est menacé d'« une prompte et totale destruction ». Nous sommes le 26 juillet. La date est d'importance, car, depuis le 16, Truman sait que l'explosion atomique expérimentale dans le désert d'Alamogordo a été couronnée de succès. La réaction du Japon va être pour le moins lourde de conséquences. Le 28 juillet, l'agence de presse Domeï rend public un communiqué selon lequel le Conseil impérial a adopté comme ligne de conduite officielle le principe du Mokosatsu. Ce terme, typiquement extrême-oriental, n'a pas d'équivalent en langage occidental, mais il est de plus extrêmement ambigu en japonais. Mokosatsu peut signifier que le Conseil n'a pas pris parti, ou qu'il élude la réponse, voire qu'il s'abstient de faire un quelconque commentaire. En bref, qu'il élude un problème par le silence. C'est cette interprétation qui va prévaloir dans la presse nipponne, largement acquise aux partisans de la résistance à outrance. Dès lors, Washington a en main tous les éléments qui vont aboutir à l'éclair atomique. Si l'empire du Soleil levant ressemble à un navire désemparé qui se dissimulerait derrière un écran de fumée, il reste à l'envoyer par le fond : une opération dont on sait qu'elle sera coûteuse en vies américaines. Mais les considérations géopolitiques pèsent également sur la décision de Truman. Pour avoir pris la mesure de l'expansionnisme stalinien, le président des États-Unis a tout intérêt à précipiter la fin du Japon, seule à même d'éviter un accroissement trop conséquent de l'influence soviétique en Extrême-Orient.

Il reste que, dans la course à Tokyo, le choix d'Hiroshima – une ville sans intérêt militaire – continue, encore aujourd'hui, d'alimenter les débats. Il est vrai que Washington avait envisagé une démonstration atomique sur un atoll désert. Les principaux responsables scientifiques du programme atomique s'y sont opposés, arguant qu'en cas d'échec le stock nucléaire était insuffisant pour mettre la menace du 26 juillet à exécution. On avait aussi évoqué un assouplissement de la formule de capitulation, qui aurait affermi la position de l'empereur face au clan des militaires. Une formule difficilement vendable et à l'opinion américaine et aux Soviétiques. Il restait quelques villes épargnées par les bombardements conventionnels : Hiroshima était l'une d'entre elles.

La naissance de l'ONU

De la célébration, en octobre 1995, du cinquantenaire de l'Organisation des Nations unies, on ne retiendra peut-être qu'une grande photographie de famille. L'organisation internationale est dans un triste état. Premier symptôme : l'ONU est menacée de faillite du fait de l'avarice ou de l'indigence de certains de ses plus gros contributeurs – 3,5 milliards de dollars d'arriérés. Second symptôme, elle souffre d'une grave crise de crédibilité qui tient en trois mots : Somalie, Rwanda, Bosnie. Au bout du compte, l'impuissance de l'ONU n'est que l'expression d'une dérive conceptuelle : fondée pour maintenir la paix, elle s'est trouvée très vite engagée dans des opérations de rétablissement de la paix – une différence fondamentale –, à l'aune desquelles elle se trouve aujourd'hui jugée.