C'est cette démarche unilatérale que Washington a suivie, dans un souci de défense de son industrie automobile, afin d'obtenir de Tokyo un meilleur accès au marché nippon pour les exportations américaines. À cet effet, les Américains annonçaient, le 16 mai 1995, que des sanctions unilatérales seraient prises si Tokyo ne parvenait pas, avant le 28 juin 1995, à un compromis par lequel il ouvrirait son marché aux automobiles et surtout aux composants américains. Les sanctions consisteraient à frapper de droits de douane prohibitifs (allant jusqu'à 100 %) treize modèles de voitures haut de gamme représentant en 1994 5,9 milliards de dollars d'importation.

Dans ce conflit commercial, on peut constater un paradoxe du fait que les deux superpuissances économiques qui se targuent chacune de leur attachement au dogme du libre-échange s'accusent mutuellement de protectionnisme. En effet, l'Administration américaine dénonce les obstacles liés à la distribution et aux réseaux de vente qui empêchent les constructeurs américains d'écouler davantage de véhicules sur le marché japonais. De leur côté, les Japonais font valoir la mauvaise réputation dont jouissent les voitures américaines sur leur marché intérieur. Par ailleurs, depuis une bonne dizaine d'années, leur industrie automobile s'est pliée de bonne grâce au principe d'autolimitation des exportations, principe qui fut contourné par l'installation d'usines de production sur place, avec écoulement sur le marché américain des « transplants ». Finalement, après d'âpres négociations, l'accord conclu le 28 juin 1995 entrouvre les portes du « dernier bastion du protectionnisme » en obtenant l'achat de davantage de composants américains par les constructeurs japonais et l'accès des véhicules américains aux réseaux nippons de distribution.

Exemplaire à plus d'un titre, ce différend purement commercial illustre la position des États-Unis au regard du commerce international. Pour eux, les échanges avec le reste du monde doivent être placés au premier rang des priorités nationales. À partir du moment où leurs intérêts économiques vitaux sont concernés (création d'emplois et réduction déficit extérieur), les Américains n'hésitent pas à se jouer des règles, voire des principes du commerce international. Par exemple, ils peuvent se déclarer champions du multilatéralisme ou du libre-échange – tout en décidant de faire cavalier seul – quand ils peuvent imposer une promotion agressive de leurs exportations. Si, en revanche, les concessions demandées à l'industrie américaine sont estimées insupportables, ils reviennent sans vergogne à l'unilatéralisme. Enfin, ils ne craignent pas de rejeter le corset du multilatéralisme lorsque, par le moyen de négociations bilatérales, ils pensent pouvoir améliorer leur pénétration de certains marchés étrangers. À ce jeu biaisé, les Américains sont gagnants plus souvent qu'à leur tour.

Export US

Depuis 1987, les exportations de biens et de services ont représenté un tiers de la croissance économique des États-Unis. Le nombre d'emplois créés par l'exportation a progressé six fois plus vite que celui des emplois liés aux besoins domestiques.

Made in Japan

Alors que les importations de voitures ont été multipliées par sept en 1984 et 1994, elles n'ont pas dépassé 276 000 unités en 1994 sur 6,5 millions d'immatriculations dans l'archipel japonais. Sur le total des voitures importées, 91 600 provenaient des États-Unis, dont 57 400 « transplants » (voitures de marques japonaises fabriquées aux États-Unis dans des usines appartenant aux constructeurs nippons). Finalement, l'industrie automobile américaine a vendu 400 000 véhicules au Japon depuis vingt-cinq ans alors que 40 millions de voitures japonaises ont été vendues aux États-Unis.

Pour le vice-président de Chrysler, Thomas Denomme, « le Japon s'identifie à une société fermée et mercantiliste où le gouvernement et l'industrie travaillent la main dans la main pour empêcher toute compétition étrangère sérieuse sur le marché domestique, tout en poursuivant une guerre économique de conquête sur les marchés extérieurs. »

Pour les Japonais, si les voitures importées ne représentent que 8,1 % du marché nippon, c'est que les Américains n'ont pas cherché à adapter les voitures fabriquées par eux au goût des consommateurs : la plupart des modèles américains étaient proposés avec une conduite à gauche jusqu'en 1993, alors que les Japonais roulent à gauche.

Les pactes commerciaux et les blocs régionaux

Depuis la fin des années 1980, on assiste à travers le monde à une prolifération rapide de blocs commerciaux ou de groupes de coopération régionale plus ou moins intégrés. Ce mouvement de régionalisation des échanges commerciaux a commencé dans les années 50 avec la création du grand marché européen. Par la suite, durant les années 80 et 90, il a connu une extension spectaculaire avec l'accélération de l'intégration européenne, la constitution d'une zone de libre-échange en Amérique du Nord – l'ALENA – et finalement le développement des échanges régionaux en Asie du Sud-Est et au Japon. Ce phénomène de régionalisation s'est doublé d'une polarisation de flux commerciaux entre les trois régions les plus développées du monde (Europe, Amérique du Nord, Asie du Sud-Est). Une telle évolution pose problème : met-elle en danger le libre-échange généralisé (multilatéralisme) ou, au contraire, favorise-t-elle à plus ou moins long terme la libéralisation du commerce international ?