La mondialisation des échanges commerciaux

Le 1er janvier 1995 naissait une nouvelle institution internationale, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), créée à l'issue de sept années de négociations du cycle de l'Uruguay sur la libéralisation des échanges mondiaux de 1986 à 1993. Ces négociations ont été closes par l'accord signé à Marrakech en avril 1994. L'OMC est appelée à remplacer le GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce), considéré depuis 1945 comme un code de bonne conduite. Outre le commerce des marchandises, cet accord s'étend à des domaines qui n'étaient pas couverts par le GATT, comme le commerce des services, les droits de la propriété intellectuelle ou l'investissement. Les pays industrialisés et les pays en voie de développement se sont engagés à ouvrir leurs marchés en abaissant les droits d'importation, en empêchant les pratiques déloyales (dumping) et enfin en augmentant le nombre des droits de douane dits consolidés, c'est-à-dire ne pouvant pas être accrus au-delà d'une certaine limite sans que des concessions interviennent dans d'autres domaines. Voulant substituer aux rapports de force des rapports de droit, l'OMC refuse aux pays menacés par des pratiques tarifaires ou non tarifaires déloyales ou arbitraires de se faire justice eux-mêmes.

Dans son premier rapport annuel de 1995 (« Commerce international, tendances et statistiques »), l'Organisation mondiale du commerce déclare que, depuis 1950, le volume du commerce mondial a augmenté d'un peu plus de 6 % par an en moyenne et la production mondiale d'un peu moins de 4 %. Pendant ces quarante-cinq années, le volume mondial des échanges de marchandises a été multiplié par 14 et la production par 5,5. Cet écart provient essentiellement de la libéralisation des échanges et des flux de capitaux comme de changements technologiques. L'OMC en déduit que la croissance économique de tous les pays est « tirée » par le développement du commerce international.

En 1994, le commerce mondial a progressé de 13 % en valeur et en dollars, passant la barre des 4 000 milliards de dollars, tandis que le secteur des services approchait 1 100 milliards, soit 8 % de plus qu'en 1993. Sur les six premiers mois de 1995, les échanges de marchandises ont bondi de 23 % en valeur, soit plus de 8 % en volume en rythme annuel.

Réticences

Si, de cette ouverture concurrentielle des marchés, il est attendu beaucoup d'avantages à long terme, il n'en demeure pas moins qu'au cours de l'année même des réactions immédiates de méfiance, voire d'hostilité, n'ont pas tardé à se manifester, surtout du côté des pays développés. Ainsi, les États-Unis, conscients que la prospérité du pays dépend pour une part de ses succès à l'exportation, n'ont pas hésité à déclencher un conflit – avec le Japon – parce que le libre accès de leurs produits à tous les marchés du monde n'était pas garanti. De même, les pays européens craignent que l'abaissement des barrières douanières prévu par les accords de Marrakech, loin de profiter aux nations industrialisées, aille surtout favoriser les pays en développement de l'Asie ou de l'Amérique du Sud. Disposant d'une main-d'œuvre abondante et bon marché, sans être entravés par des lois sociales contraignantes, ces pays à l'économie « émergente » inonderaient de leurs produits le monde industrialisé, détruisant une bonne partie des emplois non qualifiés en Europe. Comme beaucoup de pays de l'Asie sont tentés de se regrouper, voire de s'intégrer en passant des accords régionaux, les Européens redoutent qu'à plus ou moins brève échéance et à plus ou moins juste raison les débouchés à destination de blocs commerciaux renaissants se restreignent durablement pour eux. La multiplication récente d'accords régionaux et de blocs commerciaux a fait redoubler d'inquiétude les responsables économiques d'Europe et d'ailleurs.

Nord/Sud

D'après une étude de la Banque mondiale, le taux de croissance des pays en voie de développement sera, à moyen terme, de 5 % en moyenne, celui des pays développés de 2,7 %. Forcément, la concurrence sera plus rude. Mais il faut voir aussi les avantages. Dans dix ans, deux tiers de l'augmentation des importations viendront de ces pays. À l'évidence, les exportations des nations industrielles vont augmenter. Elles sont déjà très fortes : 42 % de ces exportations vont vers les pays en voie de développement (dont 47 % pour les nations européennes et 48 % pour le Japon). On calcule, par exemple, que, si l'Inde, l'Indonésie et la Chine continuent d'avoir une croissance de 6 % par an, d'ici à quinze ans, il y aura dans ces trois pays 700 millions de consommateurs potentiels bénéficiant d'un revenu par tête égal à celui de l'Espagnol d'aujourd'hui.

Les conflits d'intérêts et l'unilatéralisme américain

Bien qu'idéologiquement partisans du libre-échange, les États-Unis se montrent hostiles à tout accord qui limite leur liberté de se défendre unilatéralement et donc d'attaquer comme bon leur semble. À cet effet, ils disposent d'un arsenal d'armes de combat, avec notamment le Trade Act de 1974 dont la redoutable « section 301 » donne au président américain des pouvoirs de rétorsion sans équivalent dans d'autres pays. Cette disposition permet aux États-Unis de dresser de façon unilatérale la liste des pays dont les barrières commerciales devraient être abaissées ou dont les méthodes jugées déloyales, abusives ou déraisonnables devraient être condamnées. En agissant ainsi, les Américains ignorent a priori le libre-échange, fondement du commerce international, et le multilatéralisme, principe fondateur de l'OMC. Ils prennent alors le risque de voir un conflit d'intérêts dégénérer en guerre commerciale ouverte, dans la mesure où l'ensemble des relations entre les États-Unis et l'autre puissance économique se trouvera affecté, ce qui n'a pas manqué de se produire dans le cas du différend automobile États-Unis-Japon.