Déjà la préparation de leur entrée avait donné lieu, en juin, à une vive querelle entre les Douze à propos des modifications qu'elle devait entraîner sur le fonctionnement des institutions, en particulier les aménagements des procédures de vote au Conseil. Les Britanniques voulaient en effet réviser, à cette occasion, la définition de la minorité de blocage dans un sens qui aurait rendu plus difficile cette prise de décision. Un compromis fut trouvé lors d'une réunion des ministres des Affaires étrangères à Ioánnina, en Grèce, au mois de juin.

Mais la perspective de l'entrée à terme dans l'Union des pays d'Europe centrale et orientale pose des problèmes autrement plus importants que ces simples aménagements de procédure. Ces pays – ceux dits « du groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), ainsi que la Roumanie et la Bulgarie – frappent avec impatience à la porte de l'Union. Cette dernière a conclu avec eux en 1993 des accords d'association qui stipulent leur vocation à adhérer pleinement à terme. Reste à définir la procédure de cette adhésion et ce qu'elle implique pour l'Union elle-même. Sans même parler des autres candidats à l'entrée (les États baltes, la Slovénie, Chypre, Malte, la Turquie), l'intégration pure et simple des six pays d'Europe centrale et orientale, étant donné les caractéristiques de leurs économies, ferait exploser la politique agricole commune de l'Union, comme sa politique d'aide aux régions les moins favorisées (les « fonds structurels »). Elle ferait exploser aussi les institutions de l'Union qui, telles quelles, ne peuvent fonctionner avec vingt pays membres ou plus.

Les Allemands mettent les pieds dans le plat

Les Douze ont décidé en 1994 qu'aucune négociation d'adhésion ne serait plus ouverte avant que l'Union ait procédé à sa propre réforme institutionnelle, qui est prévue pour 1996. Les Allemands souhaitaient néanmoins faire avancer le problème et c'est ce qui fut à l'origine du document de « réflexions sur la politique européenne » publié au début du mois de septembre 1994 par le parti du chancelier Kohl, la CDU, et qui fit grand bruit.

Les chrétiens-démocrates allemands affirmaient que, sans une forte consolidation interne, l'Union « ne pourrait faire face aux tâches immenses résultant de l'extension à l'est et risqueraient de s'effriter pour redevenir un groupement lâche d'États », incapables d'assurer la stabilité. Pour sortir de la contradiction entre approfondissement de l'Union et élargissement, les Allemands proposaient des réformes des politiques communes et une adhésion par étapes des pays de l'Est, qui, en revanche, devraient très tôt être associés politiquement à l'Union. Ils proposaient aussi que les pays déjà membres souhaitant aller de l'avant vers plus d'intégration de type fédéral se libèrent des freins que certains, comme la Grande-Bretagne, mettent à cette évolution et qu'ils forment le « noyau dur » de l'Union. Ils citaient comme membres probables de ce « noyau » l'Allemagne, la France, le Benelux, soit les fondateurs de la Communauté européenne, moins l'Italie qui ne répond pas, à ce stade, aux critères de convergence économique définis par le traité de Maastricht.

C'est ce dernier aspect du document allemand qui a déclenché les polémiques du dernier trimestre 1994. Les uns refusaient de se voir exclus de ce « noyau dur », les autres, en France notamment, récusaient l'approche fédéraliste contenue dans le document allemand.

Le débat institutionnel n'a pas davantage avancé en 1994, notamment parce que la France ne souhaitait pas que la discussion sur ce sujet conflictuel fût ouverte avant l'élection présidentielle de mai 1995. En revanche, les Douze ont commencé à préciser les moyens de leur rapprochement avec l'Europe de l'Est. Ils ont approuvé, en décembre 1994, les grandes orientations de la « stratégie de pré-adhésion ». Elle prévoit que ces pays n'adhéreront pas en bloc, mais chacun à son rythme, quand il y sera prêt. La priorité est la préparation des pays d'Europe centrale et orientale au marché intérieur, notamment par l'harmonisation de leurs législations, accompagnée de politiques d'aide visant au développement des infrastructures.