Union européenne : un avenir flou

L'Union européenne n'a pas encore acquis, en 1994, la maîtrise des transformations induites pour elle par l'effondrement du bloc communiste quelques années plus tôt. Sur le plan intérieur, la réalisation du programme qu'elle s'est fixé dans le traité de Maastricht est encore incertaine, notamment en ce qui concerne le calendrier de l'Union monétaire et l'objectif d'une monnaie unique avant la fin du siècle, qui, sans être répudiés, ne semblent plus concerner que quelques-uns des pays membres. L'indispensable réforme des institutions de l'Union, à laquelle contraignent les adhésions ou demandes d'adhésion de nouveaux pays, est toujours dans les limbes : la traditionnelle tension entre partisans de l'intégration et partisans d'une Europe du libre-échange « à l'anglaise » est plus profonde que jamais, aggravée par la problématique de l'élargissement aux pays de l'Est.

Enfin, l'Union a bien du mal à s'affirmer en tant que telle sur la scène internationale : ne prenant presque aucune part au processus de paix au Proche-Orient, elle est inexistante face aux grands drames de l'année 1994, qu'il s'agisse de l'Algérie ou du Rwanda. Et si elle a refait son unité, à propos de l'ex-Yougoslavie, c'est pour de piètres résultats : à sa demande, les États-Unis et la Russie sont entrés dans le jeu, mais le conflit bosniaque n'a toujours pas trouvé sa solution fin 1994.

Le départ de Jacques Delors

L'année s'achève sur la perspective du départ prochain des deux principaux artisans, avec le chancelier Kohl, des progrès de l'Europe au cours de la décennie précédente : Jacques Delors, qui s'apprête à quitter en janvier 1995 la présidence de la Commission de Bruxelles pour laisser la place au Luxembourgeois Jacques Santer, et François Mitterrand, dont le mandat à la présidence de la République en France s'achève quelques mois plus tard. Même si le chancelier Kohl a remporté en octobre les élections allemandes, c'est la fin d'un trio qui avait su concevoir et concrétiser des étapes cruciales de la construction communautaire et dont la succession n'est pas assurée. Quant aux opinions publiques, saisies les années précédentes par un « euro-pessimisme » qu'encourageait la récession économique, la reprise de la croissance qui se dessine fin 1994 ne semble pas suffire à leur redonner foi en l'Europe.

C'est pourtant à cette tâche que Jacques Delors a, en priorité, consacré la dernière année de son mandat à la Commission de Bruxelles. Lors de son dernier Conseil européen, les 9 et 10 décembre à Essen, il insiste sur ce point : « la priorité reste l'emploi », dit-il, et il rappelle que, même dans l'hypothèse d'une croissance retrouvée, le chômage ne diminuera que faiblement dans l'Union d'ici à la fin du siècle si des mesures structurelles ne sont pas mises en œuvre par les gouvernements (il serait encore de 7 % de la population active de l'Union avec une croissance annuelle de 3,5 % jusqu'en 2000). Le président de la Commission rappelle l'impératif de la compétitivité et obtient des Douze la création d'un organisme qui, chaque année, fera rapport à l'Union de l'état relatif de la compétitivité européenne par rapport aux États-Unis et au Japon notamment. Enfin, les Douze se quittent au sommet d'Essen après s'être assurés des moyens de financement qui permettront le démarrage dès 1995 de plusieurs projets de grands travaux, dont, pour la France, celui du TGV-Est.

Des élargissements plus ou moins difficiles

Mais la grande affaire de ce sommet, par lequel s'achèvent les six mois de présidence allemande de l'Union, c'est incontestablement l'élargissement vers l'est, autrement plus difficile à concevoir et à organiser que l'entrée, prévue pour le 1er janvier 1995, de trois nouveaux membres : l'Autriche, la Suède et la Finlande. Ces pays sont en effet déjà très étroitement liés à l'Union, homogènes avec elle sur le plan économique et même potentiellement des contributeurs nets. Ils ont négocié au début de l'année 1994, de même que la Norvège, les conditions de leur adhésion, qui a été ensuite ratifiée sans difficulté par référendum, en juin par l'Autriche, en octobre par la Finlande et en novembre par la Suède, mais rejetée le même mois par la Norvège.