La tâche pouvait paraître impossible. La décision du fondateur du Mouvement des citoyens, Jean-Pierre Chevènement, de rompre avec le PS, le 19 avril, pour « changer la gauche » parut le prouver. L'habileté de Michel Rocard comme la crainte des autres dirigeants socialistes de perdre toute crédibilité auprès des électeurs prévinrent ce risque. En acceptant que les états généraux du socialisme se déroulent en deux temps – début juillet et à la mi-octobre –, le président provisoire du PS désarma l'opposition des « quadras » qui, le 14 avril, avaient créé à cette fin le mouvement « Combat pour l'espoir à gauche » ; et il contenta en partie les amis de Laurent Fabius, de Pierre Mauroy et de Louis Mermaz, qui réclamaient la dissociation entre les « états généraux » et un « congrès constituant du Parti socialiste » qui en tirerait les conséquences organisationnelles.

Rassurés par les déclarations de Michel Rocard prenant acte le 16 avril du ralliement des centristes au nouveau gouvernement, Pierre Mauroy et certains fabiusiens (dont Daniel Percheron, le patron de la puissante fédération du Pas-de-Calais) acceptaient le rétablissement du bureau exécutif suspendu le 3, ce qui permettait au Parti de rentrer dans son cadre habituel et à sa direction provisoire, désormais « nationale », de préparer les états généraux qui devaient se réunir près de Lyon, à Chassieu, du 2 au 4 juillet. François Mitterrand, le 10 mai, puis Louis Mermaz, même si ce n'était que du bout des lèvres, ne pouvaient dès lors que se rallier à cette entreprise de rénovation au cours de laquelle, pour la première fois dans l'histoire du PS, tant les adhérents que les non-adhérents sympathisants (près de 20 % du total) étaient invités à participer aux débats, et même à voter à tous les échelons locaux, départementaux, régionaux et même nationaux.

Pendant ces états généraux, il y eut bien des réticences. Laurent Fabius et ses fidèles refusant, par exemple, tout changement de nom du Parti (s'opposant ainsi aux militants de Conflans-Sainte-Honorine qui proposaient de le rebaptiser « Mouvement des socialistes »), toute révision de ses règles de fonctionnement et toute perspective d'alliances avec des centristes. Mais c'était insuffisant pour empêcher une massive remise en cause de la gestion des dix années de gouvernement socialiste, et donc implicitement de l'action de François Mitterrand, dont le nom ne fut d'ailleurs prononcé qu'avec une étonnante discrétion. Pour les participants, il s'agissait avant tout de faire un bilan critique et de mettre un terme à la guerre des courants, ce dernier objectif leur semblant constituer une « absolue nécessité ».

Vers la recomposition du PS

Ce bilan critique fut confirmé par la quasi-totalité des 2 800 délégués, sympathisants et militants. Le rapport final, rédigé par Jean-Paul Huchon (dont certains disent qu'il est un excellent bras droit pour Michel Rocard,... à condition que celui-ci ait également un bras gauche), fut approuvé par 2 665 voix contre 5. Satisfait par la proclamation renouvelée de l'ancrage à gauche du PS (qui contredisait en partie le discours de Montlouis), Laurent Fabius avait approuvé le texte, reconnaissant ainsi la légitimité de la présence de Michel Rocard à la présidence du Parti ; non sans arrière-pensées, il lui donnait également son quitus pour faire adopter, le 7 juillet, par le comité directeur, l'accord de presque tous les dirigeants du Parti sur une motion commune devant servir de base au congrès constituant d'octobre. Un PS sans courants s'ébauchait. Mais, en décidant que les deux tiers des membres du futur Comité national seraient désignés au scrutin proportionnel, le comité directeur faisait précisément la part belle à la logique des courants. Ceux-ci n'allaient-ils pas survivre, malgré la volonté unitaire des congressistes de Chassieu ? Cette première ambiguïté s'ajoutait à une autre. L'action de Michel Rocard a-t-elle bien pour but de « refonder » le socialisme, ou bien ne vise-t-elle pas d'abord à faire du PS l'instrument de sa candidature aux élections présidentielles de 1995, candidature à laquelle les « Assises de la transformation sociale » doivent, au plus tard en janvier 1994, assurer les alliances politiques indispensables à son succès ?