À l'origine de cette double « bagarre », l'adoption par le Parlement, au début du mois de juillet, du projet de loi de Charles Pasqua destiné à mieux contrôler les flux migratoires et les « conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France ». Un texte qui, dans certains cas, tend à restreindre l'accès au territoire de demandeurs d'asile – un droit pourtant inscrit dans le préambule de la Constitution –, compte tenu des abus auxquels il donne lieu. Pasqua, l'« anti-Maastricht », s'appuie, en effet, sur les accords de Schengen, validés en 1991 par le Conseil constitutionnel pour justifier son propre projet. Ces derniers prévoient que, dans les pays européens signataires du traité, l'examen d'un dossier de demandeur d'asile par l'un de ces pays dispense ses voisins de l'étudier à leur tour. Qu'il s'agisse d'un refus ou d'une admission. Pour la majorité, c'est donc simple : un étranger dont la demande a été rejetée par l'un des 11 autres pays de la Communauté ne peut, en aucun cas, retenter sa chance en France. Une interprétation qui n'est pas partagée par l'opposition.

Saisi par les parlementaires socialistes et communistes, le Conseil constitutionnel, présidé par Robert Badinter, censure dans ses décisions des 12 et 13 août 8 des 51 articles de la loi. Pour les « Sages », convention européenne ou non, toute personne « persécutée en faveur de la liberté », conformément au préambule de la Constitution, a droit à une admission provisoire au séjour afin qu'il soit statué sur son cas. Colère du ministre de l'Intérieur, qui, en dénonçant cette instance (« elle n'est pas infaillible »), contre-attaque en réclamant une révision constitutionnelle pour intégrer les accords de Schengen dans le droit français.

Au-delà de l'aspect strictement juridique – Faut-il ou non réviser la Constitution «? Des modifications législatives ne suffiraient-elles pas ? –, l'affaire est éminemment politique. D'un côté, Édouard Balladur, conscient de la nécessité de ne pas décevoir son électorat sur un sujet aussi sensible que l'immigration, se doit de soutenir son ministre de l'Intérieur. De l'autre, François Mitterrand, par conviction et par souci de ne pas heurter le peuple de gauche en donnant son aval à ce qui peut être considéré par certains comme une restriction des libertés publiques ou une atteinte à la tradition d'accueil du pays, ne peut rester inerte. Problème : aucun des deux hommes ne veut provoquer un clash. Pas question de transformer cette querelle en affaire d'État. Finalement, pour se départager et clore la polémique, le président de la République suggérera, le 2 septembre, à son Premier ministre de demander l'avis du Conseil d'État.

Le 16 octobre, ces autres Sages du Palais-Royal donneront un avis favorable au projet présenté par Édouard Balladur. Quatre jours plus tard, le Conseil des ministres adoptera le projet de révision constitutionnelle. Le texte, subtilement balancé, résultat de longues tractations, est un compromis entre les intérêts de l'Élysée et ceux de Matignon. Il précise que la France peut mais n'est pas obligée d'examiner les demandes de droit d'asile rejetées par un autre pays signataire des accords de Schengen. Tout le monde y trouve à peu près son compte. À l'exception du parti socialiste de Michel Rocard, qui, jugeant cette révision « inutile », marquera son autonomie en appelant ses parlementaires à voter contre.

François Bazin, Joseph Macé-Scaron, Les Politocrates, Le Seuil, 1993.

Lucas Sidaine