Le second tour, avec un taux d'abstention de 32,4 %, confirme les tendances du premier. Le sursaut ne se produit pas à gauche, ou, du moins, insuffisamment. Certes, des 18 % du 21 mars celle-ci se hisse à plus de 30 %, et, dans un certain nombre de circonscriptions, l'écart droite-gauche est faible. Mais, scrutin majoritaire aidant, elle passe à la trappe et n'impose que 91 députés, dont 25 élus communistes. Si le maintien du FN fait basculer une poignée de circonscriptions, l'UPF pavoise avec 480 sièges, le Parti gaulliste confirmant son avantage sur l'UDF.

La cohabitation

« Cette cohabitation est riche de la première expérience. » C'était le 24 septembre, au cours d'une « Heure de vérité » exceptionnelle, sur France 2 ; le chef de l'État, sans vouloir « être complaisant », en s'efforçant d'apparaître comme un sage mais en s'attachant – dans un propos tout en nuance – à ne pas rester inerte, jugeait plutôt positivement le couple qu'il formait à la tête de l'exécutif avec son Premier ministre, Édouard Balladur.

Effectivement, quelle différence avec la précédente cohabitation ! Rien à voir avec la période 86-88, où il n'avait pas fallu quatre mois à François Mitterrand pour envoyer dans les cordes le chef de gouvernement que les urnes lui avaient imposé. À l'époque, il n'avait pas voulu signer l'ordonnance sur les privatisations que lui présentait Jacques Chirac. Et, tout au long de ces deux ans, les accrochages s'étaient multipliés. Aujourd'hui, jusqu'à présent, rien de tel, rien de conflictuel en apparence. Le président et son Premier ministre semblent décidés à préserver une cohabitation « douce ». À cultiver une extrême courtoisie dans la gestion à deux des affaires du pays.

Certes, le 30 juin, l'Élysée a refusé d'inscrire à l'ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement le réaménagement de la loi Falloux sur l'école privée. Sans doute y a-t-il eu du tirage au moment de la révision constitutionnelle à propos du droit d'asile. C'est vrai, enfin, que François Mitterrand n'a pas manqué de se gausser de la maladresse du gouvernement lors du conflit d'Air France. Mais, à chaque fois, Édouard Balladur, même pressé par les siens de réagir, a joué l'apaisement. Évité les choix qui fâchent. Question de comportement. Il est évident que le couple Mitterrand-Balladur fonctionne mieux que le duo Mitterrand-Chirac. Les deux hommes se respectent. Ils partagent le même goût pour l'histoire. De là à parler de connivence... « Dans l'intérêt du pays, affirme le chef de l'État, nous devons passer par-dessus certaines convictions. »

En réalité, ces « bonnes » relations ou l'« expérience » de la période 86-88 ne suffisent pas à expliquer cette lune de miel prolongée. L'histoire peut paraître se répéter, elle n'est pas la même. La cohabitation seconde version est radicalement différente de la première. Il n'y a rien de commun entre les deux. Et les Français, les sondages le prouvent, y trouvent leur compte. En 1986, François Mitterrand était rééligible et Jacques Chirac, candidat. Il pouvait s'appuyer, proportionnelle aidant, sur un PS certes minoritaire à l'Assemblée, mais fort de plus de 200 députés. Aujourd'hui, le chef de l'État ne brigue pas un troisième mandat et, officiellement (mais est-ce si sûr ?), Édouard Balladur n'est pas candidat. Première différence de taille. Ensuite, la déroute de son camp le prive de tout soutien. Que faire contre une majorité si écrasante ? En homme sachant apprécier le rapport de force, Mitterrand sait qu'il n'a pas, ou très peu, de marge de manœuvre.

La remontée de sa cote dans l'opinion ne peut se faire qu'au prix d'une attitude plutôt coopérative à l'égard du gouvernement. Le Président ne peut donc faire de la cohabitation un lieu de conflit. Le bras de fer tournerait à son désavantage. Et, d'ailleurs, pour quoi ou pour qui l'engager ? En 1986, attaquer Chirac pour l'affaiblir servait ses ambitions. En 1993, il n'a pas vraiment adoubé de dauphin. Ce n'est un secret pour personne, Michel Rocard ne lui convient guère. Conséquence : il laisse le temps au temps pour peaufiner, avant 1995, sa riposte.