Au sein du parti, pour défendre son pré carré, « la » ou « les » lignes qu'il croit juste, il va transformer la place du Colonel-Fabien en véritable bunker. Plus il se sent menacé, plus il verrouille et s'appuie sur ses apparatchiks. Au milieu des années 80, Marchais mène une lutte sans merci aux contestataires. Ils sont systématiquement écartés, de Pierre Juquin à Charles Fiterman, de Philippe Herzog à Claude Poperen ou d'Anicet Le Pors à Marcel Rigout. Beaucoup iront vers d'autres rivages ou se mettront entre parenthèses du mouvement. Résultat : Georges Marchais laisse à son successeur un parti exsangue, un noyau de militants déboussolés et des divisions à n'en plus finir.

Le conflit d'Air France

Octobre noir pour Édouard Balladur. Sur fond de chômage, de menace – réelle ou supposée – d'explosion sociale et de révolte des salariés des grands groupes nationalisés, redoutent de perdre leur statut de fonctionnaires avec les annonces des privatisations, le gouvernement de cohabitation va connaître son premier grand affrontement social : celui d'Air France. Confronté pour la première fois à une grève dure, tétanisé par les risques de contagion et hanté, comme l'écrit l'Express, par le « spectre du crash social », le pouvoir, sous la pression, va céder en quelques jours sur toute la ligne aux exigences des grévistes. Une volonté d'apaisement qui s'apparente fort à une capitulation pure et simple. Mais géré depuis le début, le conflit mettra en lumière les limites de la « méthode Balladur » (est-ce une politique de retirer tous les dossiers qui fâchent ?) et enfoncera un coin dans la cohésion de la majorité, le « flottement » du ministre des Transports, le centriste Bernard Bosson, donnant lieu à de nombreuses critiques.

À l'origine, l'énorme déficit de la compagnie nationale. Pour tenter de le résorber d'ici à 1995, à la demande du gouvernement, et donc avec son appui total, le P-DG, Bernard Attali, présente, le 15 septembre, un plan de redressement sur trois ans prévoyant la suppression de 4 000 emplois et 5,1 milliards de francs d'économie. Le traitement est rude, mais les négociations sont engagées. Pas pour longtemps. À la mi-octobre, alors que l'heure est aux réductions salariales et aux suppressions de postes pour la quasi-totalité du personnel de l'entreprise, les pilotes de Boeing 747-400 voient leur traitement augmenter par l'application d'un accord ultérieur ! Un télescopage qui met le feu aux poudres. À partir du 18 octobre, la grève s'amplifie. Les aéroports d'Orly et de Roissy sont paralysés. Les manifestations, de leur propre initiative, c'est-à-dire sans consulter les centrales syndicales qui ne pourront que suivre devant l'ampleur du mouvement, bloquent les pistes.

Pour Édouard Balladur qui a vécu Mai 68 (il était alors au cabinet de Georges Pompidou, à l'hôtel Matignon) et se souvient de décembre 1986 (il était ministre de l'Économie, et la grève des cheminots avait paralysé le pays pendant trois semaines), une obsession : éviter l'explosion. Dans la nuit du 22 au 23 octobre, sans même qu'il y ait négociation, Matignon et le ministère des Transports retirent le plan social ; vingt-quatre heures plus tard, en catastrophe, Bernard Attali est « débarqué ». Et remplacé par Christian Blanc, un proche de Michel Rocard. La crise est stoppée. Mais le problème d'Air France reste entier : son déficit vertigineux.

La mauvaise gestion de ce dossier, où erreurs et ratés ont donné l'impression d'un immense cafouillage gouvernemental, a montré à Édouard Balladur les risques qu'il courait en s'impliquant trop dans les négociations et les conflits. Certes, son ministre des Transports l'a bien maladroitement contraint à le faire. En court-circuitant dès le départ le « fusible » Attali et en s'exposant (alors que, les événements l'ont montré, il maîtrisait mal le dossier) en première ligne, Bernard Bosson a forcé le chef du gouvernement à monter au créneau. Dès lors, Matignon devait trancher. Pour préserver sa popularité dans l'opinion, restaurer la paix sociale et ménager la cohabitation sans désespérer les siens, le Premier ministre, dans l'urgence, a dû plier. L'armistice étais acquis. Mais à quel prix !

Le droit d'asile

Après trois mois de controverses, de débats tonitruants dans les états-majors politiques et d'un duel plus feutré mais réel au sommet de l'État entre François Mitterrand et Édouard Balladur, les députés et les sénateurs réunis en congrès, le 19 novembre, à Versailles, ont finalement voté le projet de loi constitutionnelle relatif aux accords internationaux en matière de droit d'asile. Épilogue d'une affaire qui aura embarrassé la gauche, divisé la droite et failli provoquer le premier gros accroc de la cohabitation. Et début d'une polémique sur le rôle du Conseil constitutionnel. Lors de cette séance solennelle, le Premier ministre, relayé par sa majorité, Charles Pasqua en tête, a mis en cause publiquement les « Sages », leur reprochant de dépasser leurs prérogatives pour s'ériger, ce qui n'est pas leur rôle, en législateurs. Autrement dit de vouloir imposer un « gouvernement des juges ». Inédit sous la Ve République, le président dudit Conseil, Robert Badinter, sortant de sa réserve traditionnelle, a répliqué, quelques jours plus tard, dans les colonnes du quotidien le Monde, pour défendre son institution. Sur le thème que le respect des droits fondamentaux s'imposait à tous. Et en premier lieu au législateur.