Japon : l'année des mutations

Morosité

Caractérisé depuis plusieurs décennies par une stabilité politique qui tendait à l'immobilisme, le Japon a connu en 1993 une mutation importante : aux élections du 18 juillet, le parti libéral démocrate (PLD), au pouvoir depuis 1955, a perdu la majorité et a dû céder la place à un gouvernement de coalition dirigé par un nouveau venu sur le devant de la scène politique, M. Morimoto Hosokawa. Le nouveau cabinet comprend des socialistes, première force d'opposition, évincés des affaires depuis 1948.

En matière économique, l'évolution a été également sensible mais négative : le Japon semble s'enliser dans la récession. Alors que l'on pensait en milieu d'année que la sortie du tunnel s'annonçait, la crise, engendrée par le dégonflement de la « bulle monétaire » (alimentée par des flambées spéculatives boursières et immobilières) de la fin des années 1980, s'est aggravée : la machine productive nipponne a été frappée par une nouvelle valorisation du yen qui, conjuguée à un recul de la demande interne, s'est traduite par une aggravation du ralentissement de la croissance. Une morosité qui ne devrait guère s'atténuer avant la fin de 1994.

Une crise originale

La particularité de cette crise tient au fait qu'au-delà des facteurs conjoncturels se posent des problèmes structurels qui, à moins que des réformes drastiques ne soient entreprises, risquent d'enrayer le redémarrage de l'activité économique.

La perte du pouvoir par les libéraux démocrates constitue assurément un tournant dans la vie politique japonaise. Mais la redistribution des cartes, opérée à la suite des élections de juillet, ne doit pas être surestimée : le camp conservateur, toutes tendances confondues, sort renforcé d'une consultation marquée, en revanche, par une stagnation des forces centristes et par une défaite cuisante des socialistes, qui ont perdu près de la moitié de leurs sièges (ceux-ci passant de 134 à 70).

Le recul du PLD a été provoqué par une scission en son sein. Les nouvelles forces conservatrices (parti de la renaissance, parti pionnier et nouveau parti du Japon) ont non seulement soustrait au PLD les sièges qui lui auraient assuré une majorité confortable, mais encore se sont retrouvées au lendemain du scrutin en position charnière : soit en renforçant le PLD qui avait perdu de peu la majorité (avec 223 sièges sur 511, celui-ci reste la principale force politique), soit en s'alliant à l'opposition pour former une coalition. C'est ce dernier choix qui a été fait.

En termes d'étiquettes, le changement est certain ; en matière d'option politique, il est plus ténu : comme en témoigne un programme politique des plus vagues, fruit des compromis passés entre les sept forces (aux nouveaux partis conservateurs se sont alliés l'union sociale démocrate, le parti social démocrate, le parti bouddhiste et le parti socialiste) composant la coalition. Des forces qui divergent sur des questions de fond telles que la sécurité, le statut des forces d'autodéfense ou l'utilisation civile de l'énergie nucléaire.

La nouvelle donne de la politique japonaise

Elle est en réalité moins le résultat d'un choix de l'électorat (celui-ci vota plutôt en faveur d'une diversification modérée du camp conservateur) que du jeu de forces hétéroclites qui, à la faveur d'un vacillement du PLD, se sont regroupées pour prendre le pouvoir. Six mois après son accession au pouvoir, le cabinet Hosokawa, en dépit d'un taux de popularité record, avait encore à démontrer en quoi il était différent, sinon par un style plus ouvert, de ses prédécesseurs.

Le malaise mêlé d'indignation provoqué dans l'opinion publique par une série de scandales forme la toile de fond de ce changement de majorité. Mais le facteur déterminant dans la recomposition du paysage politique fut une « rébellion patricienne » au sein du PLD. Le serpent de mer de la « réforme politique », supposée destinée à rendre plus transparente la vie publique mais qui se résume en fait en une réforme du système électoral, fut le prétexte utilisé par un groupe de dissidents au sein du PLD pour jouer leur carte. Une dissidence motivée plus par une stratégie de pouvoir que par des options politiques précises.