Film à grand spectacle, indépendant, semi-indépendant... : les catégorisations s'effritent lorsqu'on interroge le fond, la forme et les buts des films concernés. Pour Spike Lee et son ambitieux Malcolm X, il était impérieux de sortir du ghetto dans lequel était enfermé le cinéma afro-américain. L'obtention de gros capitaux, tant de la part des nantis de sa communauté que des Major Companies, lui a permis de transformer le fameux leader en personnalité historique américaine, à l'instar de Lincoln ou de Kennedy.

Un regard attentionné sur les deux mastodontes de l'année, Jurassic Park et Last Action Hero (John McTiernan), s'impose pour tester l'état de santé de la fiction dans le cinéma américain.

Le succès de Last Action Hero est fondé sur un malentendu. McTiernan casse le jouet illusionniste : le personnage que joue Schwarzenegger signale, à tout moment, qu'il est un être de fiction, puisqu'il passe allègrement d'un côté à l'autre de l'écran et qu'un de ses jeunes spectateurs peut le rencontrer en entrant dans des séquences du film projeté. Le cinéaste accomplit, toutes proportions de lieux et de temps gardées, un travail dysnarratif sur le cinéma de genre du même type que celui de l'Année dernière à Marienbad d'Alain Resnais (1962) – on pourrait s'amuser à comparer les jeux de miroirs entre Last Action Hero et Smoking/No smoking, et y noter un même désabusement ludique face aux conventions narratives – concernant le cinéma intimiste psychologique. Les spectateurs de Last Action Hero reconstituent d'eux-mêmes les maillons manquants de la chaîne fictionnelle. Spielberg, lui, ne veut pas faire ce type de travail : scier la branche sur laquelle il est assis. La résurrection chimique des dinosaures est une métaphore – à la fois habile et infantile – de ce cinéma classique hollywoodien après lequel court, en vain, le metteur en scène.

Parallèlement aux superproductions et aux films indépendants se redessine un fort courant de série B, qui reconquiert son statut de « film d'auteur » perdu depuis une vingtaine d'années. Avec trois films distribués en 1993 (Bad Lieutenant, Body Snatchers et Snake Eyes), Abel Ferrara devient une sorte de porte-drapeau informel de cette catégorie d'artisans qui traitent de l'art, de la vie, de la manière de rester digne en toute circonstance..., en pervertissant les genres : fantastique, thriller, etc.

Nouvelles technologies

Snake Eyes n'est déjà plus un film de genre mais une espèce de traité poétique du métier de cinéaste voyeur. Ce film renvoie à une tendance cinématographique qui intègre le processus de filmage, les nouvelles technologies, parmi lesquelles la vidéo, dans sa texture même en tant qu'élément de la fiction à part entière. Inauguré il y a une dizaine d'années par Videodrome de David Cronenberg, un film de science-fiction qui « diabolisait » le pouvoir des médias, ce « courant scoptophile » se développe actuellement.

Atom Egoyan, cinéaste d'origine arménienne établi au Canada, a consacré depuis dix ans la totalité de son œuvre aux interactions entre la vie intime de ses protagonistes et son éclatement du fait de la surmédiatisation des actions les plus banales. Dans Family Viewing (1987), son film étalon, tous les rapports entre les personnages sont gérés par le Caméscope, le magnétoscope, la télévision. Une rétrospective de ses films à la galerie nationale du Jeu de paume (16 nov. – 31 déc), doublée de la publication d'une monographie aux éditions Dis-Voir, consacre l'importance de ce cinéaste visionnaire.

Deux jeunes metteurs en scène, le Hongrois Arpad Sopsits (Video Blues) et l'Autrichien Michael Haneke (Benny's Video), prolongent cette réflexion sur la dépersonnalisation de l'individu face aux nouvelles technologies qui le déresponsabilisent et rejoignent les réflexions pessimistes d'un Paul Virilio (cf. l'Art du moteur, éditions Galilée).

Il est évident que la généralisation du câble – encore en retard en France –, les progrès de la TV satellite, en attendant la télévision numérique et à la carte, vont non seulement déréguler nos habitudes de spectateurs, mais aussi faire éclater toutes les mesures protectionnistes sur les législations internationales du cinéma, telles qu'elles ont été partiellement évoquées en début de texte. Il faut donc voir au-delà de la querelle Europe/États-Unis et trouver une forme de déontologie audiovisuelle qui puisse préserver toutes les libertés.

Inquiétudes face aux nouvelles technologies

« Ce qui est grave, aujourd'hui, c'est que nous n'avons pas encore vraiment repéré où se situera, ni quelle forme prendra l'accident spécifique de l'informatique. On a bien remarqué des petits déraillements à Timisoara ou pendant la guerre du Golfe, mais ils sont perçus comme exceptionnels. On a déjà oublié qu'ils font suite au krach de Wall Street en 1987, dû à l'absence d'ingénierie de télécommunications dans les cotations automatiques. Cette mondialisation accélérée entraîne le déclin de la réalité au profit d'une réalité virtuelle qui va nous entraîner dans des délires d'interprétation. Cette catastrophe sera pire que les déraillements ou les krachs boursiers. Nous entrons à tâtons dans un monde nouveau : la mondialisation en direct n'a jamais existé. Il ne faut pas se laisser prendre par les arguments publicitaires de l'informatique qui peuvent nous rendre euphoriques alors qu'ils cachent une réalité tragique, cynique. Celle du marché. »