Si l'on veut bien prendre toute la mesure des polémiques suscitées par la publication des Fonctionnaires de Dieu d'Eugen Drewermann, force est de constater qu'elles accompagnent une réflexion déjà ancienne sur les liens possibles entre l'Église catholique et le monde démocratique. Faut-il s'en étonner ? La discussion devient grave quand l'institution commence à se déliter, par manque d'acteurs, de prêtres et de croyants pratiquants. Et il ne lui reste plus alors d'autre issue que de préserver « dogmatiquement » son discours, ce dont témoigne la dernière encyclique.

Masculin – Féminin

La publication de la traduction du livre de la journaliste américaine Susan Faludi – Backlash, Éditions des Femmes, 1993 – a provoqué un véritable coup de tonnerre au printemps 1993. Un coup de tonnerre au demeurant fort prévisible puisque Backlash a relancé deux débats : d'une part, celui qui porte sur l'évolution et la métamorphose des identités masculine et féminine, et, d'autre part, la controverse franco-américaine sur le droit des communautés sexuelles et le « political correctness ».

Il n'y a pas de publication équivalente à Backlash dans la production féministe française : aucun ouvrage n'a montré ici avec une violence similaire que les acquis du combat féministe étaient en passe de devenir une peau de chagrin, que la lutte entre hommes et femmes se soldait par un échec de ces dernières (d'où l'idée de « backlash », de « retour de bâton »). Si le féminisme français était devenu plus discret, sur la réserve ces dernières années, l'écho rencontré par Backlash en France n'est pas sans lien avec la controverse sur la « political correctness » et sur l'évolution du droit des communautés ethniques ou sexuelles.

Mais il ne faut pas pour autant méconnaître les convergences avec la production française issue du féminisme qui s'oriente dans une double direction : une interrogation, d'une part, sur la réorganisation des sphères privée et publique, et, d'autre part, sur l'avenir des « genres » masculin et féminin. Si la décomposition de la gauche a montré que les femmes n'avaient guère progressé en politique (voir le livre de Laure Adler, les Femmes en politique, Seuil, 1993), c'est sur les plans sociologique et de l'évolution du marché du travail que les conséquences de l'émancipation des femmes hors du privé ont pris toute leur importance. À la jonction de la sociologie de la famille et de la sociologie de l'entreprise, de nombreux auteurs analysent les conséquences sur la vie privée ou professionnelle du travail des femmes : si certains d'entre eux, avec Claude Fischler, s'accordent sur l'idée d'une féminisation des mœurs, d'autres observent cependant que les hommes cherchent à se prémunir contre une féminisation qui n'est qu'une apparence (François de Singly). L'interrogation porte alors moins sur le changement des mœurs que sur la fragilisation des repères identitaires – pour l'homme et la femme –, qui accompagne la métamorphose du privé et du public. Une fragilisation inscrite dans le nouveau Code pénal, qui prend en compte, par exemple, le délit de harcèlement sexuel.

Si la résurgence du débat sur le féminisme n'est pas sans lien avec l'évolution des mœurs et du travail, la publication de Backlash a également été précédée par une réflexion anthropologique portant sur les relations entres les « genres », qui a donné lieu à la publication d'ouvrages de grande diffusion (voir, par exemple, le dialogue de Françoise Giroud avec Bernard-Henri Lévy, Des hommes et des femmes, Olivier Orban, 1993 ; l'ouvrage d'Yves Roucaute, Discours sur les femmes qui en font un peu trop, Plon, 1993 ; ou celui de Benoîte Groult, Cette mâle assurance, Albin Michel). Mais c'est le dernier ouvrage d'Élisabeth Badinter qui a polarisé l'attention : après avoir établi dans L'un et l'autre que l'égalité des sexes va de pair avec une ressemblance entre les sexes, XY, De l'identité masculine (Éditions Odile Jacob, 1993) traduit une inflexion sensible. L'auteur de l'Amour en plus ne s'interroge plus désormais sur ce qui rapproche les genres sexuels, mais sur ce qui les distingue : elle constate que l'homme qui ne parvient pas à découvrir la partie masculine de son identité échoue à nouer une relation affective avec l'autre sexe. Ainsi Élisabeth Badinter inaugure-t-elle en France une réflexion sur l'identité des genres sexuels, qui s'appuie sur le constat d'une fragilisation de l'identité masculine – ce que toute une littérature met en avant par ailleurs : Pitié pour les hommes (Calmann-Lévy) de Marie-Odile Briet, Régine Saint-Cricq et Nathalie Prévert en est un bon exemple – rejoignant ainsi les travaux de l'anthropologue américain Robert Bly – voir l'Homme sauvage et l'enfant. L'avenir du genre masculin, Seuil, 1992 – qui invite les hommes à des cures écologiques au sein de la vierge nature afin de se « régénérer ».