Religions : continuité et mutations

Judaïsme et islam

Événement d'abord politique, l'amorce d'une réconciliation entre Israéliens et Palestiniens comporte néanmoins une indéniable dimension religieuse. Les discours prononcés à la Maison-Blanche le 13 septembre l'ont d'ailleurs montré. Yitzhak Rabin, après avoir évoqué « la terre de souffrance et d'angoisse » et le « douloureux tribut de la guerre, de la violence et de la terreur » subi par son peuple, demandait d'« espérer et de prier pour la paix » et citait un livre biblique, l'Ecclésiaste, en concluant son discours par un mot de la prière juive : Amen. La réponse de Yasser Arafat commençait par une citation du Coran : « Au nom de Dieu, plein de grâce et de miséricorde », évoquait également le « siècle » de « souffrance et de douleur » enduré par le peuple palestinien et concluait : « La terre de la paix aspire à une paix juste et durable. » Notons que cet accord donne une chance aux forces laïques d'Israël et de l'OLP de juguler leurs extrémismes politico-religieux respectifs.

Islam et laïcité

Le 2 juillet, l'incendie d'un hôtel par des manifestants islamistes dans la ville anatolienne de Sivas, en Turquie, a provoqué la mort de 36 personnes. Leur enterrement a été l'occasion de manifestations en faveur de la laïcité et de la démocratie à Istanbul (100 000 manifestants) et à Ankara (50 000 manifestants). L'origine de l'émeute de Sivas était la venue dans cette ville d'Aziz Nesin, écrivain libertaire qui a traduit des extraits des Versets sataniques de Salman Rushdie. Cette traduction partielle a d'ailleurs été désavouée par l'auteur qui estime être utilisé « avec le même irrespect par des groupes qui se proclament antifondamentalistes » que « par les fondamentalistes dans leur bataille contre la laïcité ». S. Rushdie est toujours sous le coup d'une fatwa (avis prononcé par l'imam Khomeiny) le condamnant à mort.

Les conflits entre musulmans modérés et islamistes radicaux se poursuivent dans plusieurs pays. Des attentats d'ordre politico-religieux ont eu lieu, cette année, en Égypte. En Algérie, ils se sont multipliés. Cette situation est favorisée par le maintien du sous-développement et par l'absence de perspectives pour la jeunesse. « Comment prôner une religion tolérante quand elle sert d'exutoire au malaise d'une génération ? », se demandent des intellectuels musulmans. En Afrique du Nord et en Égypte, ces tendances sont combattues par le pouvoir politique. Par contre, en Arabie saoudite, selon un rapport d'Amnesty International publié en septembre, les persécutions exercées par les moutawa'in, la police religieuse, contre les minorités chrétiennes (travailleurs immigrés asiatiques) et musulmanes chiites (10 % de la population) se sont intensifiées cette année.

Judaïsme et catholicisme

Le conflit le plus grave, depuis la Seconde Guerre mondiale, dans les relations entre juifs et catholiques, s'est officiellement terminé cette année par la fermeture du couvent des carmélites installé dans l'ancien camp de concentration d'Oswiecim-Auschwitz (5 juillet). Une intervention du pape, le 14 avril, à l'occasion du 50e anniversaire du soulèvement du ghetto de Varsovie, avait permis de débloquer la situation.

Le conflit durait depuis huit ans, c'est en effet en 1985 que l'on avait appris l'installation en 1978, avec l'accord du gouvernement communiste polonais, des carmélites à Auschwitz. Aussitôt, cette nouvelle avait suscité une forte émotion chez beaucoup de juifs. La tradition juive, en effet, privilégie le silence et l'absence de symboles autour des tombes. Auschwitz, lieu-mémoire symbolisant la « solution finale », se trouvait donc, dans cette optique, « profané » par un édifice religieux proclamant le « triomphe du Christ », là même où, « après 2 000 ans de civilisation chrétienne, s'est accompli ce qui s'y est accompli » (Ady Steg, président de l'Alliance israélite universelle). Dès 1986 et 1987, des accords judéo-catholiques, conclus à Genève, avaient émis le principe d'un transfert du couvent. L'application a été difficile à mettre en œuvre, car la population et l'Église catholique de Pologne, un peu tenues à l'écart de ces négociations, estimaient qu'Auschwitz est également un lieu-mémoire où sont morts de nombreux résistants polonais, dont de grandes figures catholiques. Le Congrès juif mondial a salué le transfert du carmel en estimant que cette décision ouvrait un « nouveau chapitre des relations entre l'Église catholique, le gouvernement polonais et les juifs ».

Bouddhisme

Le réveil du bouddhisme se manifeste au Cambodge après les persécutions des Khmers rouges et des années de troubles. Une tâche très importante de formation et de spiritualisation commence à être entreprise dans un pays qui a subi l'influence conjuguée du communisme et du matérialisme libéral de type thaïlandais. Le bouddhisme vietnamien fait preuve, lui aussi, d'une vitalité certaine, dans un pays où le pouvoir communiste cherche à se rénover et à trouver un nouveau consensus. Les bouddhistes sont divisés entre l'Église bouddhique du Viêt Nam, proche du régime, et l'Église bouddhique unifiée, en délicatesse avec lui : des incidents ont eu lieu à Huê en mai 1993.

Anglicanisme et protestantisme

La décision de l'Église d'Angleterre de permettre aux femmes d'accéder à la prêtrise (ou au pastorat) a provoqué, en 1993, de nombreux remous. Un mouvement limité mais réel de conversions au catholicisme a eu lieu avec notamment celles de J. Grummert, ministre de l'Agriculture, et A. Widdecombe, secrétaire d'État à la Sécurité. Mais Rome n'a pas pris les mesures, espérées par certaines, qui auraient facilité l'extension du mouvement comme la reconnaissance des ordinations anglicanes. Il faut dire qu'une attitude souple aurait induit la coexistence dans l'Église latine d'un clergé marié (ex-anglican) avec un clergé célibataire. Elle aurait, d'autre part, assombri les relations entre Rome et Canterbury. La décision de l'Église d'Angleterre, qui suit celle d'Églises anglicanes d'autres pays, modifie le rapport de force œcuménique : issu de la Réforme, l'anglicanisme est un protestantisme tempéré qui, depuis le xixe siècle, s'était quelque peu rapproché du catholicisme. En ordonnant des femmes, il adopte une pratique devenue majoritaire dans le protestantisme.