La violence est une des autres plaies de la société américaine. Cette année, on a beaucoup parlé des « serial killers », ces assassins en série qui défraient la chronique par leur sadisme et par ce qu'ils révèlent de passion et de folie au plus profond de l'inconscient américain. Plus concrètement, on a également beaucoup évoqué la violence de la police, notamment à l'encontre des minorités ethniques. Un film réalisé par un amateur à Los Angeles et montrant le passage à tabac d'un automobiliste noir par une patrouille de policiers déchaînés a mis le feu aux poudres.

À l'automne, les clignotants sont passés au rouge : baisse sensible de popularité du président, élection d'un sénateur démocrate en Pennsylvanie (un État qui votait républicain depuis près de trente ans...) et psychodrame collectif lié à la nomination du juge Clarence Thomas à la Cour suprême. Ce candidat, présenté par George Bush, avait le double avantage d'être noir et conservateur, mais, peu de temps avant sa nomination officielle, l'une de ses anciennes collaboratrices l'a accusé publiquement de harcèlement sexuel au travail. Suivit alors une série, largement diffusée, de séances publiques où ont été déballées de sordides affaires de mœurs au bureau. George Bush s'est battu pour son candidat qu'il a fini par imposer, mais il a perdu le soutien des organisations féministes.

L'Amérique n'avait pas besoin de cette perte supplémentaire de confiance dans sa classe politique au moment même où deux livres faisaient l'effet d'une bombe en démontant le mythe de John Kennedy, accusé non seulement d'être un obsédé sexuel, mais, autrement plus grave, d'avoir été lié à la mafia.

Jules Chancel

Amérique latine

Entre la peste, la vieille peste brune des coups d'État militaires, et le choléra qui resurgit lui aussi du passé, l'Amérique latine semble régresser d'autant plus brutalement que l'élan progressiste de la décennie antérieure laissait au contraire présager une rupture définitive avec les échecs de l'Histoire.

Une rupture qui paraissait solennellement proclamée par la Conférence de Guadalajara (Mexique) : pour la première fois dans l'histoire de l'Amérique latine, tous les chefs d'État présents devaient leur mandat à des élections libres..., le cas de Fidel Castro paraissant relever de l'exception propre à confirmer la règle.

Une route étroite et menacée

Le coup d'État militaire d'automne en Haïti, qui portait au pouvoir le général Cedras et contraignait à l'exil le président régulièrement élu à peine quelques mois plus tôt, remettait tout en question. L'ambiguïté de la réponse américaine, après une condamnation initiale, et l'inefficacité des réactions de l'OEA confirmaient l'échec de la démocratie.

Accident de parcours, lié à la jeunesse de l'expérience démocratique haïtienne ou aux erreurs du père Aristide ? Simple parenthèse dans l'évolution générale ? Mais l'évolution vers la guerre civile est aussi plausible dans l'impasse actuelle, entre le refus d'une intervention extérieure et la force des militaires.

Face aux avancées liées aux négociations proches d'aboutir entre les belligérants salvadoriens, mettant fin à plus de dix années de guerre civile, et face à l'apaisement de la « guerre de la drogue » en Colombie, après la reddition négociée – sans extradition – du principal parrain du cartel de Medellín, d'autres événements soulignent par ailleurs la fragilité de la paix et l'instabilité des tendances.

La dégradation de la situation au Guatemala est inquiétante ; et bien davantage au Pérou, avec le contrôle de plus en plus total de la Sierra et la pénétration des guérillas dans les bidonvilles de Lima, Le conflit a déjà coûté 23 000 morts et 18 milliards de dollars. Entre une armée de 120 000 soldats et 5 000 guérilleros, le pays semble pris en otage.

Quelle issue existe-t-il entre la dictature rouge promise par les extrémistes maoïstes du « Sentier lumineux » et l'état de guerre qu'engendrerait un retour au pouvoir des militaires ? Quelle est la marge de manœuvre du président Fujimori, aux prises par ailleurs avec une économie en plein délabrement et avec le choléra ?