Autre phénomène saillant : la progression des réalisations dues à des Noirs américains. Spike Lee, le « père » du renouveau, réalise, avec Jungle fever, une œuvre sur les rapports interraciaux entre un riche Noir et une pauvre Italo-Américaine. La fin, ambiguë, semble se conclure sur un constat d'échec. La nouvelle vague qui vient après Spike Lee se préoccupe peu de trouver ou de pérenniser une esthétique spécifique comme ce fut le cas dans les années 1970 avec des cinéastes comme Charles Burnett ou Haile Gerima. Dans le meilleur des cas (Boyz'n the Hood, de John Singleton), ce sont des documents sociologiques ; dans le pire (New Jack City, de Mario van Peebles) des séries B de type policier jouant, comme tant d'autres, sur la violence et la drogue. Dans leur hâte à rejoindre les grandes compagnies de production, les jeunes cinéastes noirs semblent avoir abandonné cet espace de réflexion, qui faisait le prix de leurs aînés « indépendants » (autoproduits le plus souvent), au profit d'une révolte crue et épidermique.

Pages d'histoire

Le paysage de l'exploitation française ressemble de plus en plus à un duel franco-américain. Sur ce champ de bataille, à peine si on remarque un film finlandais (J'ai engagé un tueur, d'Aki Kaurismäki), danois (Europa, de Lars von Trier), anglais (Prospero's Books, de Peter Greenaway), néo-zélandais (An Angel at my Table, de Jane Campion), ou belge (Toto le héros, de Jaco Van Dormael, Caméra d'or de la première œuvre au dernier festival de Cannes). Les festivals se substituent de plus en plus souvent à l'exploitation traditionnelle (étranglée par l'économie de marché) pour la révélation de talents ni français ni américains.

Pourtant, c'est une manifestation d'un tout autre genre qui a fait l'événement en 1991 : « Cinémémoire » (4-11 octobre, à Paris et en province). Conçu sur l'initiative de Jack Lang, Martin Scorsese et Costa-Gavras, ce 1er festival du Film restauré (qui devrait devenir annuel) a présenté plusieurs dizaines de films, des origines (1895) à Playtime de Jacques Tati (1967), dans leur première version (couleurs d'origine restituées, parties manquantes retrouvées et remontées) avec, souvent, des musiques d'époque. Contre toute attente, la manifestation fut très abondamment suivie, ce qui prouve qu'un public potentiel existe pour le cinéma muet ou ancien si les conditions de vision (excellentes copies, formats de projection et vitesse respectés) et le relai médiatique (toute la presse a annoncé l'événement) sont correctement assumés. Redonner vie au cinéma du passé, c'est sauver de l'oubli des trésors condamnés par le temps ou les diverses censures (étatiques, commerciales...), et tirer, à l'aube du centenaire de son invention (1995), des leçons pour l'avenir du 7e art.

Raphaël Bassan

Photographie

La relation entre l'art plastique et la photo est, au mieux, une relation ambiguë, et les frontières y sont aussi floues que l'œuvre de David Hamilton, qui nous a gratifiés d'un livre de plus. Mais, si l'art est le miroir d'une société, la photographie en est certainement le thermomètre. Et cette année, si les grandes expositions ont mis en valeur la mémoire et le témoignage plutôt que l'artiste et la création, c'est peut-être parce que la guerre du Golfe et l'effondrement du communisme ont semblé constituer l'épilogue d'un siècle, comme la Première Guerre mondiale avait paru l'inaugurer.

À Washington, en début d'année, la National Portrait Gallery a exposé 150 photographies de personnalités britanniques. De l'autre côté de l'objectif cette fois – et non pas du miroir –, on y a découvert tour à tour des écrivains tels que Lewis Carroll et Charles Dickens, ou des expressions du pouvoir comme la reine Victoria et Margaret Thatcher. Bref, de l'apothéose à la chute d'un empire qui, peu importe ce qu'on puisse lui reprocher, a hissé avec beaucoup d'humour l'absurdité à la dimension d'un art de vivre.

Au moment de la conclusion de la guerre du Golfe, s'est tenue à Düsseldorf « The Israeli Art Scene Around 1990 », pour 100 œuvres de dix-sept artistes israéliens, dont des photos doublement troublantes de patrouilles dans les territoires occupés. Certaines des œuvres étaient entourées d'un parfum de controverse, voire même de scandale. Notamment celle-ci qui, quoi que l'on pense de la démarche artistique, montre une bonne dose d'humour noir : une mitraillette d'enfant exposée sous le titre « Art juif » !

Le mariage de l'art et de la pellicule

L'une des expositions les plus intéressantes pour ce qu'elle nous a révélé d'un pays mystérieux fut celle du photographe autrichien Heinrich Harrer. Il fut le confident et l'ami du dalaï-lama au moment de son adolescence au Tibet, avant l'invasion chinoise en 1950, et cette intimité lui a ouvert les portes du Tibet secret, lui donnant non seulement accès aux rites et aux cérémonies du palais de Lhassa, mais aussi une vision sans précédent de la vie au Tibet avant la fermeture du pays. Inaugurée à l'American Museum of Natural History de New York, cette exposition voyagera à travers les États-Unis, avant – espérons-le ! – de gagner l'Europe.