Très chère santé

Depuis 1980, les membres des professions de la santé s'opposent régulièrement aux pouvoirs publics ; toutefois, à la différence des situations précédentes, c'est la convention médicale qui fut cette année à l'origine du conflit.

À dire vrai, celui-ci était en gestation depuis plusieurs mois. Les différents négociateurs de la convention − ce système qui régit les rapports entre médecins libéraux et Sécurité sociale −, Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés (CNAM) et syndicats médicaux représentatifs, n'avaient su ou n'avaient pu trouver les termes d'un accord au cours de l'année 1989. Les échéances légales ayant été largement dépassées, l'année 1990 s'ouvrit donc sur une impasse.

Ce blocage conventionnel eut pour premier effet concret de déclencher un mouvement de « grève illimitée des soins » chez les chefs de clinique et les internes des hôpitaux parisiens. Ces médecins en fin de formation spécialisée entendaient ainsi protester contre l'une des conséquences du « gel » de la convention médicale : l'impossibilité, pour ce qui les concernait, de s'installer en secteur 2 (secteur dit « à honoraires libres »), alors que la majorité d'entre eux avait programmé ce type d'exercice au terme de leur cursus hospitalier. L'un des paradoxes de ce conflit apparaissait ainsi clairement.

Les négociations de la dernière chance

Tenu pour premier responsable du mécontentement professionnel, le ministre de la Santé Claude Evin était en réalité bien loin de détenir toutes les clefs du problème, et cette situation, à l'origine de nombreux chasses-croisés et malentendus, ne fut pas sans effet sur la longueur inhabituelle du conflit.

Dès la mi-janvier, dans un entretien accordé au Monde, le ministre reconnaissait qu'il était « entre guillemets, pris en otage » et qu'une issue ne pourrait être trouvée « que dans le cadre de la discussion conventionnelle entre les syndicats de médecins et les caisses de Sécurité sociale ».

De Paris, la grève s'étendit, dès le 17 janvier, à la majorité des centres hospitalo-universitaires (CHU) de province. Et, en dépit d'un accord rapidement signé entre le ministre et les représentants des internes et des chefs de clinique, la situation s'envenima rapidement, la majorité des grévistes décidant d'observer « une grève totale des soins et des urgences ». Le mouvement, cependant, ne devait pas avoir de conséquences graves sur la prise en charge des malades.

Il n'en fut pas moins évident que le recours à cette arme hautement symbolique − dont l'utilisation fut d'ailleurs vivement critiquée par certains responsables médicaux − témoignait de l'urgence de la situation en même temps que de la perte progressive des références éthiques dans la profession. Pour sa part, M. Evin devait déclarer dès le début du conflit : « Les professionnels de santé nous ont habitués à assumer leurs responsabilités et à ne pas prendre leurs malades en otage. Je ne doute point qu'à cette occasion les grévistes n'agissent également avec un grand sens de leurs responsabilités. » Cette prise de position ne cachait pas l'inquiétude ministérielle face au blocage que semblaient alors entretenir la CNAM et les syndicats médicaux.

Au total, le conflit devait durer plus de deux mois, ponctué de déclarations virulentes, de manifestations bien organisées, de suspensions temporaires de la grève suivies de reconductions immédiates. L'action des internes et des chefs de clinique devait notamment recevoir le soutien d'une partie des médecins des CHU ainsi que des praticiens libéraux. Vers la fin février, le mouvement commença à manifester des signes d'essoufflement, et les responsables de la convention médicale entamèrent pour leur part ce qui paraissait bien alors « les négociations de la dernière chance ».

Un système obsolète

Le 9 mars, soit plus de deux mois après le début de la grève, un accord définitif put enfin être trouvé entre la Fédération des médecins de France et la CNAM. Aux termes de cet accord, avalisé par le gouvernement et valable pour une durée de quatre ans, certains jeunes médecins devraient, sous certaines conditions, avoir accès au secteur 2, une revalorisation des tarifs étant par ailleurs programmée.