Ce conflit aura-t-il eu en définitive une valeur pédagogique ? Sa complexité, son hétérogénéité et ses nombreux aspects corporatistes rendent cet espoir peu solide. Le fait est d'autant plus regrettable qu'il y avait là réunis de manière exemplaire les problèmes essentiels que soulèvent la maîtrise des dépenses de santé, l'égalité de l'accès aux soins, ainsi que son corollaire, la démographie du monde médical.

Au-delà de l'aspect passionnel et parfois spectaculaire de ce mouvement d'humeur − le public, en France, est peu habitué à voir les blouses blanches défiler dans les rues −, on retiendra avant tout des premiers mois de 1990 la situation impossible dans laquelle se sont enlisés les partenaires de la convention médicale.

À cet égard, ce long conflit aura contribué au discrédit d'un système obsolète, incapable aujourd'hui de répondre à ce qui, du point de vue des assurés sociaux, constitue son rôle principal : parvenir au plus vite à une véritable rationalisation des dépenses de santé.

Dr Jean-Yves Nau et Jean-Michel Normand
Le docteur Jean-Yves Nau est rédacteur médical au Monde.
Jean-Michel Normand est rédacteur au service économique du Monde, chargé des questions sociales.

Maîtriser les dépenses

Enfin signée le 9 mars après onze mois de négociations, la nouvelle convention médicale reconnaît pour la première fois la nécessité d'une rationalisation des dépenses de santé.

La tentative est assez timide, mais elle a le mérite d'exister. Il s'agit de proposer aux médecins libéraux une série d'économies qui pourraient être réalisées sur certaines dépenses où la « surconsommation » est patente. Ces « critères médicalisés » ont été présentés le 4 juillet sous la forme de dix-sept recommandations destinées à « rationaliser l'activité et les prescriptions ». L'objectif est de parvenir à réaliser 3,6 % d'économies sur les dépenses en 1990 (en 1989, les remboursements de l'assurance-maladie avaient progressé de 10 % environ). Ces recommandations visent notamment à ralentir les prescriptions − souvent excessives − concernant les échographies lors de la grossesse, à éviter des examens préopératoires superflus et à modérer le recours systématique aux soins infirmiers ou de kinésithérapie.

Pourtant, cette incitation à une médecine plus économe paraît très insuffisante par rapport aux problèmes financiers dont souffre la Sécurité sociale. À peu près équilibrée ces dernières années, la branche maladie renoue en effet avec un déficit grandissant : 6,9 milliards de francs en 1990, 8,3 milliards prévus en 1991. Il faut donc réaliser des économies sous peine de voir les cotisations augmenter de nouveau. Pour le gouvernement, la nécessité est d'autant plus pressante que la contribution sociale généralisée (CSG) qu'il a fait adopter par le Parlement permet de financer les régimes de retraites, en fort déficit, mais n'apporte rien à l'assurance-maladie.

Selon les pouvoirs publics, il faut économiser dix milliards de francs jusqu'à la fin 1991. Ce sont les professions de santé qui sont visées. Celles-ci ont réalisé des gains de productivité qui n'ont guère profité à la Sécurité sociale et certaines ont vu leur chiffre d'affaires, comme leurs effectifs, progresser en flèche. Après les biologistes, dont la nomenclature a été modifiée, et les pharmaciens, dont le calcul des marges a été modifié dans un sens moins « inflationniste », les radiologues ont subi une révision à la baisse du forfait payé pour l'utilisation des appareils à résonance magnétique nucléaire. De son côté, l'industrie pharmaceutique a fort mal accueilli la décision de « resserrer » le remboursement de certains médicaments, qui sera désormais strictement lié à l'utilisation définie lors de l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Vécues comme douloureuse par les professions de santé, ces dispositions ne devraient pourtant rapporter que 4 milliards de francs.

Il faut donc aller plus loin. Parmi les projets envisagés figure notamment la suppression du taux de remboursement de 40 % des « médicaments de confort » : les spécialités dont l'efficacité thérapeutique est établie seraient remboursés à 10 %, mais les autres ne le seraient plus du tout. L'opération permettrait de dégager plusieurs milliards de francs d'économies...

Le secteur hospitalier, lui aussi, coûte de plus en plus cher. En août, les statistiques indiquaient une progression en moyenne annuelle de 8,7 % pour les prescriptions et de 9,4 % pour les versements aux hôpitaux. Dans le secteur public, l'impact des mesures prises depuis 1989 à l'intention des infirmières, puis, au début 1990, en faveur de la modernisation de la grille de la fonction publique (État, collectivités locales, hôpitaux) a été évalué à quatre milliards de francs pour 1990.