Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

Il est donc primordial pour ces pays de suivre l'exemple du Mexique et de profiter des allégements offerts par le plan Brady (éd. 1990). Les négociations menées dans ce cadre ont permis de réduire de 27 % le service de la dette mexicaine, ce qui équivaut, pour ce pays, à une économie annuelle de l'ordre de 2 % de son PIB.

Ces mesures techniques s'accompagnent d'une série d'actions de nature plus politique telles que la réforme fiscale, la décentralisation ou la relance des intégrations supranationales. Illustrée par les progrès accomplis dans le cadre du GATT, cette démarche s'est encore traduite par la concrétisation du projet d'entrée du Mexique dans la zone de libre-échange formée par les États-Unis et le Canada, ou par l'approfondissement des accords commerciaux conclus entre le Brésil et l'Argentine, auxquels l'Uruguay, le Paraguay et le Chili doivent venir se joindre en 1994. Les Latino-Américains auraient-ils pris pleinement conscience de la nécessité vitale d'élargir les marchés ? En tout cas, ces signes de rupture sont clairs, même si ces plans ne sont ni des panacées ni des réussites systématiques, et même si leur coût social − souvent très élevé − semble difficile à accepter.

Les armes se taisent

Le second événement clef qui a marqué l'année en Amérique latine − le départ des sandinistes − confirme sur le plan politique cette accélération des changements.

Qui donc aurait osé parier sur la victoire de l'opposition à l'élection présidentielle nicaraguayenne de ce mois de mars 1990 ? Même la nouvelle présidente ne s'y serait pas vraiment risquée, pas plus d'ailleurs que ne l'auraient fait ses partenaires de l'UNO, coalition d'opposants très large, mais hétéroclite et peut-être éphémère. Effets du charisme de Violeta Chamorro, ou erreurs des sandinistes ? Ceux-ci, comme ils le reconnaissent eux-mêmes, n'avaient jamais envisagé la perspective d'une défaite. S'il n'en avait pas été ainsi, eussent-ils laissé se dérouler librement la campagne et le scrutin ?

Toujours est-il qu'après dix années de guerre civile et de dictature le Nicaragua a connu une alternance quasi miraculeuse presque aussitôt suivie du désarmement de la Contra et de la paix générale. Avec Castro amputé de son seul soutien sur le continent, et qui, boudeur, a retiré son aide, et la guérilla salvadorienne voisine privée d'une base arrière sûre, c'est toute l'évolution de l'Amérique centrale qui se trouve réorientée. La réussite de Bush au Panamá est renforcée et le plan de paix présenté par l'ancien président du Costa Rica Oscar Arias voit ses options confirmées.

Certes, dans le cadre toujours délicat de la cohabitation, la nouvelle présidente nicaraguayenne a-t-elle encore beaucoup à faire, avec l'aide de ses alliés ou malgré eux. Le Chili en porte également témoignage avec la délicate coexistence entre le président Patricio Aylwin et l'ancien chef de l'État, le général Pinochet, qui, comme les membres du clan Ortega au Nicaragua, conserve le contrôle légal de l'armée.

Dans l'un et l'autre cas, la transition vers la démocratie libérale et l'économie de marché exige d'incessantes tractations. Violeta Chamorro en fait l'amère expérience depuis le mois d'août, époque à laquelle le Nicaragua a été paralysé par les grèves. Il lui faut surtout reconstruire une économie qui n'est sortie de plusieurs décennies de mise en coupe réglée par la famille Somoza que pour tomber dans dix ans de collectivisme et de guerre civile.

À l'exception du Pérou, en proie à la guérilla sanglante menée par le Sentier lumineux, du cas particulier de la Colombie, et de celui du Salvador, où les négociations avec les rebelles du FMLN n'aboutissent pas, les armes ont fini par se taire sur l'ensemble du continent et les militaires semblent accepter de se cantonner dans leurs casernes (sauf en Argentine, où le président Menem a dû faire face à un soulèvement bref mais violent au début du mois de décembre).

En cette fin d'année, seul l'État cubain semble encore se complaire dans l'immobilisme le plus total. Même en Haïti, le paysage politique a changé : en décembre, le père Jean-Bertrand Aristide a remporté un triomphe inattendu qui scelle apparemment la fin du duvaliérisme.

Une ère nouvelle ?

Étonnante décennie qui a vu les militaires quitter le pouvoir en Argentine et au Brésil et disparaître la dictature des Somoza, des Duvalier, des Stroessner, des Noriega et des Pinochet. Elle a peut-être vu aussi s'effacer − la coïncidence est-elle fortuite ? − l'incompréhension que l'on croyait indéracinable à l'égard des États-Unis. Après le « Yankee go home ! » des années 60, le slogan d'aujourd'hui serait plutôt : « Yankee, please come ! » (« Yankee, venez, s'il vous plaît »)...