Journal de l'année Édition 1991 1991Éd. 1991

C'est du moins ainsi que l'on peut symboliser la rencontre de Monterrey entre le président Bush et son homologue mexicain Carlos Salinas. Après l'annonce de la signature, avant la fin de 1992, d'un accord de libre-échange, et après la petite phrase de George Bush : « Aucun pays n'est plus important pour les États-Unis que le Mexique », la presse américaine a titré malicieusement « Amigo gringo ». Amis, certes, mais pas à n'importe quel prix. Un nouvel équilibre s'instaure. C'est ainsi que, pour le président Salinas, l'accord implique clairement que le Mexique ne doit pas être considéré seulement comme « un puits de pétrole ». « Le pétrole mexicain, a-t-il dit, est la propriété du gouvernement mexicain. » Il le restera.

La rupture survenue au Nicaragua illustre aussi l'émergence de forces nouvelles − y compris dans les Églises −, la création ou le renouvellement des partis politiques et l'accès au pouvoir de nouvelles personnalités, dans les entreprises comme dans la politique.

Et, lorsqu'il s'agit de femmes, le fait, en Amérique latine, est encore plus révélateur. Le rôle joué au Brésil par le ministre des Finances Zulia de Collor confirme que l'élection de Violeta Chamorro n'était pas un « accident » et que l'avancée féminine dans la politique n'est pas fortuite. Elle est l'expression et l'aboutissement d'une remise en cause progressive du « machisme », qui procède elle-même de l'émancipation familiale, de la plus grande facilité d'accès à l'éducation, de la maîtrise de la natalité dans les villes et, plus lentement, dans les campagnes.

En même temps, une génération nouvelle a accédé au pouvoir derrière les quadragénaires. Après Fernando Collor et Carlos Salinas de Gortari, les jeunes présidents du Brésil et du Mexique déjà cités, il faut mentionner César Gaviria en Colombie, Rafael A. Calderon au Costa Rica, Guillermo Endara au Panama, Luis Lacalle en Uruguay et Alberto Fujimori au Pérou. En deux ans, c'est tout le premier plan du paysage présidentiel qui a été renouvelé.

Mais cette jeune élite ajoute d'autres différences à sa jeunesse, et d'abord sa formation. Plus que des professionnels de la politique, nombre de nouveaux venus sont des technocrates, à l'instar du président du Mexique ou du ministre brésilien du Développement, issus tous deux de Harvard. On note également un changement dans l'appartenance religieuse, comme le montre l'extraordinaire réussite du protestant Jorge Serrano au Guatemala. Même s'il ne devient pas, en janvier 1991, le premier président non catholique d'Amérique latine à l'issue du second tour des élections, sa percée aura eu une portée tout à fait symbolique.

Les origines sociales ou géographiques se sont également renouvelées, comme en témoignent les cas de Fernando Collor, venu d'un petit État du Nordeste brésilien, de l'Argentin Carlos Menem (« El Turco »), fils d'immigrants syriens, et surtout du Péruvien Alberto Fujimori (« El Chinito »), d'ascendance japonaise.

Il est significatif que la suprenante victoire électorale de ce dernier doive moins à son programme ou au soutien des 100 000 Nippo-Péruviens qu'à sa différence même, volontairement mise en avant comme un espoir donné au pays d'oublier le vieux clivage racial Indiens-Blancs. Révélateur également que le vaincu, l'écrivain Vargas Llosa, ait été écarté moins en tant qu'individu qu'en tant que représentant de la bourgeoisie créole.

Symbole de toute l'Amérique latine, le Pérou a voté avant tout pour un changement dont Fujimori avait su se faire le champion ainsi qu'en témoignait le slogan même de sa campagne : « Cambio 90 » (Changement 90). Le succès de ces hommes nouveaux traduit la progression de nouvelles alliances (public-privé, libéralisation-décentralisation, intégration-indépendance, etc.) qui rendent progressivement caduques les contradictions qui avaient inhibé le développement de l'Amérique latine. En tout état de cause, il en demeure encore au moins trois qui sont capitales et dont le traitement se fait trop attendre. Elles portent sur la politique sociale, la question rurale et le problème indien, et réclament des responsables une attention pressante avant qu'une autre problématique encore plus urgente, comme celle de la pollution à Mexico ou celle de la destruction de la forêt amazonienne, ne vienne les reléguer au deuxième ou au dernier plan.