Le premier communiqué du Mouvement patriotique de salut (MPS) de M. Déby annonce la suspension de la Constitution et la dissolution de l'Assemblée. Le 4, le MPS nomme M. Déby chef de l'État et du gouvernement. Dans un message à la nation, celui-ci dénonce le « régime dictatorial » et la corruption de son prédécesseur, affirme que son action sera fondée sur « le non-alignement, la lutte contre le néocolonialisme et l'impérialisme » et promet de rétablir le pluralisme politique et les libertés publiques.

L'une des premières actions du nouveau régime est de faire libérer les prisonniers libyens, mais il facilite aussi la fuite de centaines de Libyens « retournés » par les Américains. Pratiquant une diplomatie à la hussarde, Tripoli propose son aide économique ; Paris aussi.

Réputé francophile, le nouvel homme fort du Tchad échappera-t-il à la tutelle libyenne ? Saura-t-il intégrer les forces d'opposition ou subira-t-il à son tour la trahison d'un ancien fidèle ? Enfin, et bien que la question n'ait pas été abordée, procédera-t-il aux nécessaires efforts de redressement économique qui constitueraient le premier pas du Tchad vers sa véritable indépendance ?

Christophe Péry

Une lente agonie ?

L'accélération des risques d'explosion se produit dans un contexte de délaissement du continent illustré par un néocartiérisme européen selon lequel il faut aider la « Hongrie avant le Mali ». L'Afrique, en effet, a perdu son image antérieure de réservoir indispensable en denrées tropicales et en minerais de base, et n'apparaît plus, dans les faits, comme une pièce essentielle dans les stratégies économiques des pays industrialisés. Sauf cas exceptionnels, tels l'or, le platine, le chrome, le vanadium, voire le manganèse, dont les réserves et les sites extractifs importants sont localisés surtout en Afrique du Sud, aucune des matières premières africaines n'est aujourd'hui vitale pour le fonctionnement des économies industrielles. Le développement rapide des substituts, par exemple aux oléagineux, et la montée en puissance de pays latino-américains et asiatiques concurrents ont marginalisé l'Afrique, qui est la grande perdante du conflit des matières premières entre les tiers-mondes.

Réduits à la portion congrue, les pays d'Afrique au sud du Sahara ne fournissent au mieux que 1,3 % à 1,5 % des exportations mondiales, dont 42 % pour le seul pétrole, et leur poids industriel est dérisoire : 0,5 % de la production manufacturière mondiale. En outre, tous les indicateurs soulignent une perte de compétitivité depuis les années 70, liée à de multiples facteurs : coût de la main-d'œuvre plus élevé qu'en Asie, coût de l'énergie et du fret aérien, maritime et terrestre trop onéreux, taux de crédit prohibitifs, surévaluation du change, particulièrement pour les pays de la zone franc.

Déjà vulnérable aux concurrences extérieures, l'Afrique a été frappée de plein fouet par la baisse des prix des matières premières, qui ont atteint leur plus bas niveau historique au milieu de la décennie 80. Les termes de l'échange se sont considérablement dégradés : sur une base 100 en 1980, l'indice n'était plus qu'à 59 en 1988. Sur la durée 1970-1988, l'indice des termes de l'échange est revenu à son niveau initial, sauf pour les PMA (pays les moins avancés), éligibles à l'Agence internationale du développement (AID), dont l'indice a chuté de moitié.

Dans ces conditions, auxquelles s'ajoute la flambée des taux d'intérêt, l'Afrique subsaharienne est devenue la région la plus endettée du monde par rapport à son PIB, dont le tiers, rappelons-le, est fourni par la seule République sud-africaine ! Le montant de cette dette est d'environ 140 milliards de dollars, selon les déclarations des débiteurs à la Banque mondiale, plus de 230 milliards de dollars avec les dettes à court terme et les arriérés de paiement, c'est-à-dire au moins 20 fois plus qu'en 1970. En 1988, la dette extérieure équivalait à 399,7 % du PNB du Mozambique, à 205 % de celui du Congo et à 135 % de celui de la Côte-d'Ivoire... Quant au service de la dette, comment l'évaluer alors que se développe un marché secondaire, les banques appliquant des décotes selon le degré de confiance qu'elles accordent aux gouvernements ?