Van Gogh aurait pu suffire à représenter l'art annonçant le siècle. Les musées n'ont cependant pas négligé certains de ses contemporains. Par exemple, James Ensor, dont le meilleur de l'œuvre fut réalisé dans les années 1880, mais dans un tout autre contexte : à la lumière d'Ostende, sa ville natale, et en relation avec les animateurs du mouvement symboliste en Belgique. Au printemps, le Petit Palais a consacré une importante rétrospective à cet étrange auteur de danses macabres.

Plusieurs peintres ayant plus ou moins évolué dans le courant symboliste ont été sortis de l'oubli. Ainsi, Charles Filiger, qui avait travaillé auprès de Gauguin à Pont-Aven (à Strasbourg, cet été). Ainsi, Émile Bernard, qui était allé lui aussi à Pont-Aven. Son itinéraire a été retracé pour la première fois à Amsterdam, dans le cadre des manifestations de l'année Van Gogh, parce que après avoir fréquenté Gauguin puis s'être brouillé avec lui, il s'était pris d'admiration pour le Hollandais, avec lequel il correspondait. L'intimiste Édouard Vuillard, enfin, a fait l'objet d'une rétrospective de plus de 200 œuvres, depuis les intérieurs bourgeois peints au temps du nabisme jusqu'aux portraits réalistes des années 1930. Cette exposition, co-produite par le musée des Beaux-Arts de Lyon, la Fondacio Caixa de Pensions de Barcelone et le musée des Beaux-Arts de Nantes, a ensuite circulé dans les trois villes.

Les impressionnistes ont été quelque peu boudés, à l'exception de Monet, auquel une exposition fort judicieuse, portant justement sur les séries de tableaux des années 1890 : meules, peupliers du bord de l'Epte, pont japonais de Giverny, façade de la cathédrale de Rouen..., a été consacrée à Londres (Royal Academy). Autre grande figure des débuts de l'art moderne : Cézanne, fêté en une exposition de circonstance, à Aix-en-Provence, où avaient été réunis plus de trente peintures et dessins de la montagne Sainte-Victoire, le motif privilégié du peintre, qu'un incendie a ravagée en 1989. Les œuvres provenaient de tous les coins du monde (juin-sept.).

Les petits voyages des grandes œuvres d'art

Picasso et Braque, qui doivent tant au maître d'Aix, étaient à Bâle, au printemps, où le Kunstmuseum a accueilli la moitié des œuvres de la fameuse exposition new-yorkaise qui montrait comment les deux peintres avaient inventé, ensemble, le cubisme. Picasso était aussi au Grand Palais, à l'automne, représenté par une nouvelle dation effectuée après la disparition de Jacqueline, la seconde épouse du peintre. Les quarante-sept peintures, les quarante dessins, les vingt-quatre carnets, les céramiques, les gravures, les sculptures entrés dans le patrimoine national à cette occasion seront répartis dans une vingtaine de musées français.

Une exposition pointue, magnifique, « Matisse au Maroc », a réuni pour la première fois l'ensemble des peintures et des dessins réalisés lors de deux séjours que l'artiste avait effectués en Afrique du Nord, en 1912-1913. Ces voyages de quelques mois furent déterminants pour le peintre, inspiré par la lumière du Sud et l'architecture de Rabat. Nombre de ses œuvres marocaines, qui avaient été acquises dès leur création par les collectionneurs russes Chtchoukine et Morozov, sont passées dans les musées soviétiques ; d'autres sont à New York. Aussi l'exposition, organisée conjointement par les Américains et par les Soviétiques, a-t-elle été présentée à la National Gallery de Washington (au printemps), au musée d'Art moderne de New York (pendant l'été), au musée Pouchkine à Moscou (durant l'automne), et enfin au musée de l'Ermitage à Leningrad (où elle a été inaugurée en décembre).

Cette exposition Matisse est significative du développement, au cours de l'année, des relations artistiques entre les pays occidentaux et les pays de l'Est, en particulier entre les grands musées américains et soviétiques, qui ont aussi échangé provisoirement des œuvres. Tandis que le Metropolitan Museum de New York et l'Art Institute de Chicago envoyaient au musée Pouchkine de Moscou et à l'Ermitage de Leningrad quatre-vingt-deux chefs-d'œuvre de l'art médiéval (dont un quart d'origine française), les deux musées soviétiques prêtaient 51 tableaux français aux musées américains. « De Poussin à Matisse : le goût russe pour la peinture française », tel était le titre de cette exposition qui, pas plus que celle de Matisse au Maroc, n'a pu malheureusement faire halte en France.