Ceux-ci constituent aussi une alternative aux vacances de neige, très coûteuses pour les familles, très risquées quant aux conditions météorologiques et d'un accès particulièrement malaisé pendant les périodes de vacances scolaires. Certains, tel Center Parcs en Normandie, offrent à la fois des activités et un hébergement ; ce sont donc des lieux de vacances susceptibles de concurrencer les stations des Alpes ou des Pyrénées. Il faut ajouter que le risque météorologique y est nul, puisque la plupart des activités sont situées sous une gigantesque bulle de verre chauffée à température constante.

Ces parcs de loisirs résidentiels sont en réalité des centres de vacances capables de concurrencer de nombreuses autres formules. Les clients de Center Parcs bénéficient, à une heure de Paris, d'un environnement exotique (palmiers, plantes tropicales, perroquets) et d'un grand nombre d'activités, en particulier aquatiques. Le tout pour un prix très inférieur à celui d'un voyage au Brésil ou même aux Baléares, et sans les risques inhérents à ce type de vacances : coups de soleil ; piqûres d'insectes ; retards d'avion, etc.

La « bulle » de verre joue ici un rôle tout à fait symbolique : cocon protecteur contre les intempéries, la pollution, les maladies, le froid, etc. On retrouve donc, transposé dans les loisirs, le phénomène du « cocooning » caractéristique de la vie de famille. Le parallèle est d'autant plus apparent que le foyer tend à devenir lui-même une sorte de bulle stérile à l'abri des menaces extérieures : délinquance, incommunication, etc.

Concurrents des résidences secondaires, des stations de ski, des vacances traditionnelles, les parcs de loisirs constituent donc un moyen nouveau d'occuper son temps de loisir. Ils sont aussi, pour beaucoup de familles, une alternative à la « journée télé » du dimanche, un moyen de se procurer des émotions fortes (manèges), de se retrouver dans un environnement différent (parcs à thème), bref de se donner le sentiment de vivre intensément.

Ils semblent si bien, dans leur principe, correspondre aux attentes actuelles des Français que l'on peut se demander pourquoi certains connaissent des difficultés : Zygofolies a dû fermer, Mirapolis a été repris en gestion par le Club Méditerranée et relancé avec l'aide du chanteur Carlos... Les raisons en sont sans doute d'abord financières ; les investissements en équipements et en personnel sont très lourds et ne peuvent, dans la plupart des cas, être amortis que sur une partie de l'année, à cause des conditions climatiques. La recherche d'une rentabilité conduit donc à des tarifs d'entrée élevés, qui peuvent être dissuasifs. La seconde raison est que beaucoup de parcs reposent sur un concept destiné aux enfants (Mirapolis, Astérix, Schtroumpfs...) et ne prévoient pas assez d'activités intéressant les parents. Ceux-ci hésitent donc à payer une entrée à plein tarif, si c'est seulement pour accompagner passivement leurs enfants. Il faut dire que les Français, en matière de loisir comme dans les autres domaines, sont de plus en plus attentifs au rapport qualité-prix de ce qui leur est proposé.

Les loisirs, et après ?

S'il ne fait aucun doute que la société française est entrée depuis quelques années dans ce qu'il est convenu d'appeler la civilisation des loisirs, l'examen des tendances qui structurent les pratiques actuelles appelle au moins deux réflexions. La première est que les Français semblent s'être précipités dans le loisir plutôt pour fuir une réalité qui les inquiète que pour vivre mieux ou « être » davantage. La démarche n'est donc pas a priori très positive. Elle conduit à la seconde réflexion : cette attitude de refus du réel sera-t-elle durable ou évoluera-t-elle en fonction du contexte économique, social, politique, environnemental ?

On est tenté de penser que la situation est conjoncturelle et que le réalisme retrouvera ses droits dès lors que l'horizon apparaîtra moins lourd de menaces. Cette société du rêve n'est donc peut-être qu'une société de transition, entre deux civilisations, entre deux siècles, entre deux millénaires. Pourtant, il est probable qu'il faudra du temps pour que les menaces actuelles (environnement, sida, chômage, risques technologiques, etc.) s'éloignent ou disparaissent. Les hommes devront donc s'accommoder de l'incertitude tout en réparant les erreurs commises par la civilisation qu'ils ont fondée. La réalité ne devrait plus alors les effrayer, de sorte qu'ils pourront vivre leurs loisirs sans en faire un moyen privilégié d'échapper au quotidien.

Gérard Mermet
Gérard Mermet, ingénieur A.M. et M.B.A. de l'Université Columbia (New York), est un spécialiste de l'analyse des modes de vie des Européens et du changement social. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la société française et collabore avec des sociétés d'études. Il anime chaque semaine l'émission Francoscopie sur Radio-France internationale. Il vient de publier : Francoscopie (Larousse, 1988).