Il sert enfin de détonateur au dénouement violent de la crise : au lendemain du départ de Mikhaïl Gorbatchev, Deng Xiaoping décide de proclamer la loi martiale à Pékin et de « retrouver la face ».

Le pouvoir reste silencieux

Tandis que les manifestations s'étendent chaque jour dans les rues de la capitale dont le cœur – Tiananmen – est en permanence occupé par la foule, mais aussi dans certaines villes de province et en premier lieu à Shanghaï, la division du pouvoir apparaît au grand jour. Le 4 mai, à Pékin, lors de la réunion annuelle de la Banque asiatique de développement, Zhao Ziyang prononce un discours d'ouverture à l'égard des manifestants, en complète contradiction avec l'éditorial du Quotidien du 26 avril ; en même temps, il conseille aux médias de faire preuve de plus d'audace. La foule commémore donc à sa manière l'anniversaire du 4 mai, avec un succès plus grand que celui de la manifestation officielle. Dans les déclarations spontanées et le slogan mille fois répété de « Deng descend de ton trône ! » apparaît clairement le mécontentement de la population.

Ce gigantesque happening reste sans véritable direction, même si quelques meneurs étudiants font leur apparition, comme le jeune ouïgour Wu'er Kaixi, Chai Ling, la passionaria, et surtout Wang Dan, et si quelques personnalités intellectuelles de renom y jouent un rôle non négligeable. Il s'y mêle aussi des badauds et des ouvriers, des journalistes, des fonctionnaires et des cadres du parti, des policiers et des ménagères, ainsi que des étudiants arrivés par trains entiers des quatre coins du pays.

Certains d'entre eux entament une spectaculaire grève de la faim, mais le pouvoir reste silencieux derrière les murs de sa résidence de Zhongnanhai, ce qui est finalement le phénomène le plus surprenant. La foule se tient calme, mais n'obéit pas aux objurgations des autorités.

Le 18 mai, après le départ de Mikhaïl Gorbatchev, auquel le gouvernement chinois est affligé d'avoir donné un tel spectacle, Li Peng rencontre les étudiants grévistes de la faim et leur demande de mettre un terme à leur mouvement ; la télévision diffuse en direct les propos très vifs qu'il échange avec eux à cette occasion. En fait, le dialogue, qui avait été, à l'origine, la principale revendication des jeunes, ne parvient pas à s'établir. Le même jour, par trois voix contre deux abstentions et une contre, celle de Zhao Ziyang, le comité permanent du bureau politique du PCC, auquel s'est joint Deng Xiaoping, décide d'imposer la loi martiale. Après une dernière visite poignante aux étudiants de Tiananmen à l'aube du 19, Zhao disparaît de la scène politique. Le soir même, à la télévision, Li Peng proclame la loi martiale.

La semaine de la déesse

Une période étrange de deux semaines commence alors à Pékin. Le pouvoir tente de convaincre les gens de rentrer chez eux et envoie en même temps la troupe – non armée – dégager la place Tiananmen, occupée jour et nuit par les étudiants et les grévistes de la faim. À chaque fois, les soldats sont noyés par la foule et doivent rentrer à la caserne. Les médias continuent de relater les événements. Les réformistes tentent d'ultimes manœuvres tandis que, dans le silence, Deng Xiaoping et la vieille garde s'organisent. Des troupes sûres arrivent de tout le pays ; au début du mois de juin, elles réunissent 300 000 hommes environ. La tension monte ; chaque jour qui passe voit se répandre les rumeurs les plus folles, notamment sur la santé de Deng. Le pouvoir semble à la portée des manifestants qui, à plusieurs reprises, dépassent le million. Le 30 mai, sur la place Tiananmen, les étudiants érigent une statue de la « déesse de la démocratie » à l'image de la statue de la Liberté.

La journée du 4 juin

Dans la nuit du 2 au 3 juin, des milliers de soldats tentent une entrée en force dans Pékin avant d'être rapidement repoussés. À cette occasion, certains manifestants se saisissent même d'armes dans des véhicules militaires. L'affrontement paraît alors imminent. Pour réaffirmer leur autorité contestée et pour éviter que la désobéissance civile ne continue de s'étendre, les dirigeants conservateurs décident de lancer la troupe dans la capitale au petit matin du 4 juin.