Les manifestations à caractère raciste contre les étudiants africains de la fin décembre 1988 et du début janvier 1989, commencées à Nankin avant de s'étendre à d'autres campus, traduisent l'extension du malaise aux universités, où les conditions de vie et d'études sont de plus en plus déplorables. Quelques jours plus tard, la contestation apparaît chez les intellectuels avec le manifeste rédigé par Fang Lizhi : dans une lettre ouverte à Deng Xiaoping, il réclame la liberté pour tous les dissidents. Le 23 février, une centaine d'intellectuels apposent leur signature au bas d'une pétition demandant la libération des prisonniers politiques, catégorie qui – officiellement – n'existe plus en Chine depuis la révolution culturelle. Le mois suivant, l'organisation indépendante « Amnistie 89 » est fondée à Pékin. La réaction de Deng Xiaoping est très ferme : il n'y a aucun détenu politique en Chine et il ne saurait être question d'une quelconque mesure de grâce envers les dissidents.

Deux décès intempestifs

Confronté à cette fronde inattendue, le régime vient en même temps de perdre son principal allié au Tibet avec la mort, le 30 janvier, du panchen-lama, second personnage religieux du « Toit du monde », traditionnellement prochinois. Poussé par ses partisans qui manifestent dans les rues de Lhassa, le dalaï-lama, exilé, reprend alors l'initiative diplomatique.

La persistance du drame tibétain trente ans après la fuite en Inde de son chef spirituel ne joue pas en faveur du gouvernement de Pékin, accusé – déjà – de violations des droits de l'homme. Mais le pouvoir est surtout préoccupé par les luttes de sérail toujours plus vives, de même que par la préparation de la visite de Mikhaïl Gorbatchev. Le premier voyage depuis trente ans d'un haut responsable soviétique doit marquer la normalisation des relations sino-soviétiques. Deng Xiaoping considère même cette visite, prévue à la mi-mai, comme le couronnement de sa carrière de successeur de Mao Zedong.

C'est dans ce contexte que l'on apprend, le 15 avril, la mort de Hu Yao-bang. L'ancien secrétaire général du PCC, limogé deux ans auparavant au lendemain des premières manifestations étudiantes, est décédé d'une crise cardiaque. Sa disparition sert de détonateur à la crise. Pendant que les autorités préparent ses funérailles, les étudiants descendent sur la place Tiananmen pour célébrer ce petit homme qui personnifie désormais à leurs yeux la modernisation de la Chine. Malgré l'interdiction de manifester, gerbes et banderoles s'accumulent en son honneur autour de la Stèle aux héros.

Pour la première fois, le pouvoir perd le contrôle de la rue, où le mécontentement s'étend à une fraction de la population, qui n'hésite pas à bousculer une police désarmée et parfois sympathisante. Préoccupés par ce désordre à quelques jours de l'anniversaire du mouvement nationaliste et étudiant du 4 mai 1919 et alors que l'on met la dernière main aux préparatifs de la visite « historique » de Mikhaïl Gorbatchev, Deng Xiaoping et les conservateurs mettent à profit l'absence de Zhao Ziyang, en visite en Corée du Nord, pour publier le 26 dans le Quotidien du peuple un violent éditorial dénonçant les désordres. Les étudiants le considèrent comme une provocation.

Le détonateur

Lorsque Mikhaïl et Raïssa Gorbatchev arrivent à Pékin le 15 mai pour une visite « historique », la capitale chinoise est en plein chaos. Malgré les efforts des autorités, la foule occupe la rue, forçant à des modifications de protocole de dernière minute, et empêchant le rituel – revue des troupes place Tiananmen, visite de la Cité interdite – de se dérouler comme à l'ordinaire. En ne pouvant accueillir son hôte comme il l'aurait souhaité, avec le faste nécessaire à cette réconciliation, Deng Xiaoping perd la face et montre sa faiblesse.

La visite, les conversations et les résultats de ces trois jours sont occultés par les événements qui se poursuivent dans la rue et qui traduisent l'embarras, au moins provisoire, de Deng Xiaoping. Longuement préparé, destiné à l'origine à tirer un trait sur un conflit engagé par Mao et Krouchtchev, ce voyage permet toutefois d'officialiser la normalisation entre les deux « Grands » du communisme. Mais il montre surtout le décalage qui existe entre une Union soviétique qui est en train de s'ouvrir et une Chine qui, après avoir été à l'origine des réformes économiques les plus profondes du monde communiste, se trouve maintenant dans l'incapacité de répondre aux aspirations de sa population urbaine.