Les érudits locaux, animateurs de ces sociétés savantes, ont joué un rôle capital dans la commémoration scientifique de la Révolution dans les petites villes de province. Deux exemples : la Société d'histoire et d'archéologie du Sedanais a monté en septembre une série de trois conférences sur le thème « Les grandes familles de pensée et la Révolution : Francs-maçons - Protestants - Catholiques », avec la collaboration d'un ancien grand-maître du Grand Orient de France, d'un professeur certifié d'histoire et de géographie et d'un prêtre catholique ; la Société historique et archéologique de Pontoise, du Val-d'Oise et du Vexin a préféré, quant à elle, assurer l'édition critique et commentée par l'historien Jacques Dupâquier des cahiers de doléances du Vexin français, en deux gros volumes de plus de 500 pages. D'importants colloques ont renouvelé en profondeur l'interprétation de la Révolution, tels le colloque de Rennes de 1985 sur les Résistances à la Révolution (sous la direction de François Lebrun et de Roger Dupuy) et celui de Chantilly de 1986 sur les Pratiques religieuses dans l'Europe révolutionnaire (sous la direction de Bernard Plongeron).

Enfin, l'économie. En ce domaine, tout n'a pas été un succès. Le Centre d'information des Tuileries, malgré 800 000 visiteurs, a été lourdement déficitaire d'une somme de 45 millions de francs. La labellisation commerciale du Bicentenaire n'a pas donné les résultats escomptés, probablement en raison d'une crédibilité insuffisante du label par rapport aux produits offerts qui n'avaient, le plus souvent, rien à voir avec la Révolution. En revanche, le Centre français des manifestations à l'étranger (CFME) a fait un gros effort de promotion en organisant, dans de grands magasins, quatorze expositions de produits liés au Bicentenaire, dont huit au Japon et quatre aux États-Unis, contre seulement huit en 1988. Par ailleurs, les résultats du tourisme ont été très satisfaisants avec une hausse de 30 % du nombre des touristes étrangers par rapport à l'année précédente.

Pas d'unanimité

Faut-il pour autant en conclure que l'année du Bicentenaire s'est déroulée sous le signe d'une unanimité approbatrice ? Certainement pas. La Révolution française continue de diviser les Français, moins sans doute qu'au xixe siècle, mais ses épisodes sanglants et terroristes, son bilan contrasté, ses indéniables contradictions ont été fort logiquement interprétés de façon diverse, parfois très négative. Même après deux siècles, il serait naïf d'espérer convaincre les descendants des victimes des colonnes infernales en Vendée que la Révolution fut un fraternel et radieux Printemps des Peuples !

Sans aller jusqu'à une remise en cause globale, une partie de l'opinion publique a été choquée ou agacée par l'excès de promotion médiatique auquel le Bicentenaire a donné lieu ; d'autres ont reproché à la commémoration son coût. Sur ce dernier point, Jean-Noël Jeanneney a répondu que la facture de 325 millions de francs était une fois et demie moins élevée que celle des obsèques de l'empereur du Japon, Hiro-Hito. Plusieurs organes de presse, à droite et à l'extrême droite, ont manifesté une hostilité sans faille à la Révolution et à son Bicentenaire, en particulier la revue L'Anti-89, un mensuel contre-révolutionnaire fondé en 1987 par François Brigneau et les abbés Aulagnier et Coache. Il en a été de même de la station parisienne privée Radio-Courtoisie et, à un degré moindre, du Figaro magazine.

Le point de vue anti-commémorationniste a été défendu avec passion par l'historien Pierre Chaunu dans un livre intitulé le Grand Déclassement. À propos d'une commémoration. L'auteur voit dans les fastes du Bicentenaire une entreprise immorale de désinformation scientifique, d'intoxication idéologique et de manipulation politique. Il estime que la période 1789-1799 coïncide avec le moment où la France rate son passage de la société traditionnelle d'Ancien régime à la société industrielle contemporaine, échec majeur qui s'accompagne d'une baisse démographique, d'un décrochement économique avec le Royaume-Uni et d'une perte de puissance et de dynamisme, masquée par une politique d'agression systématique contre l'Europe qui se prolongera jusqu'en 1815. Partant d'une contestation de la commémoration, Pierre Chaunu aboutit à une remise en cause radicale de la Révolution qu'il appelle avec mépris un « mini-événement » alors qu'il en fait contradictoirement une description apocalyptique et insiste sur ses conséquences catastrophiques. Le ton est excessif, le propos manque de nuance, mais les questions posées sont bien réelles. Au sein de la communauté scientifique, le Bicentenaire a relancé la polémique entre ceux qui conservent de la Révolution une vision globalisante, unanimiste et charismatique et ceux qui insistent, au contraire, sur sa diversité et sur ses contradictions.