Le 19 juillet 1989 naissait ainsi, à la clinique universitaire de Turin, la seconde « jumelle différée au monde » : Alessandra. Sa sœur, Manuela, était née le 4 novembre 1987. Les deux fillettes avaient été conçues en éprouvette neuf mois plus tôt, mais l'embryon d'Alessandra avait été congelé un an et demi dans l'azote liquide, avant d'être réimplanté dans l'utérus de sa mère.

Toutefois, les histoires d'embryons congelés ne finissent pas toujours aussi bien. Au cours de l'année 1989, un procès retentissant s'est déroulé aux États-Unis, autour de sept embryons dont les « parents », en instance de divorce, se disputaient le sort. Estimant l'affaire comparable à l'attribution de la garde d'un enfant, la femme, en tant que mère, en réclamait la propriété, alors que son époux estimait légitime de pouvoir décider s'il désirait ou non devenir père. En septembre 1989, le juge de Knoxville (Tennessee) chargé de l'affaire décidait, dans ce contexte dépourvu d'une législation précise, de confier les œufs congelés à leur « mère ». L'affaire, qui, dans ce domaine, ne représente que l'un des nombreux procès américains en cours, pose fondamentalement la question du statut de l'embryon humain, et des droits de ses géniteurs vis-à-vis de cette « personne humaine potentielle ». Une question dont il devient chaque jour plus difficile de faire l'économie, sous peine de voir se multiplier les conflits de ce type.

Les bébés-éprouvettes sous le coup de la loi

Il aura fallu deux ans pour réglementer la procréation médicalement assistée (PMA), au terme d'une procédure d'évaluation mise en route en 1986 par Mme Michèle Barzach, alors ministre de la Santé. Le 26 novembre 1988, son successeur, M. Claude Evin, annonçait que seuls soixante-quatorze centres (sur plus de trois cents qui en avaient fait la demande) seraient désormais autorisés, en France, à pratiquer les techniques de l'insémination artificielle et de la fécondation in vitro. Un décret adopté sur des arguments éthiques et financiers non négligeables (notamment l'hétérogénéité des taux de succès constatée entre les différents centres), mais qui n'en a pas moins déclenché un tollé de protestations parmi les spécialistes de cette discipline.

Arguant de l'impossibilité morale de freiner la lutte contre la stérilité, plusieurs groupes de médecins, spécialisés en PMA, annonçaient ainsi en juillet 1989 ne pas reconnaître « la validité du décret de 1988 ». Refusant de respecter le délai de six mois laissé par le ministère de la Santé aux établissements non agréés pour cesser leurs activités, nombre d'entre eux affirmaient alors leur volonté de continuer à exercer la PMA « sous toutes ses formes », considérant que, dans ce domaine, « l'intervention du gouvernement par l'intermédiaire d'un décret n'était ni souhaitable ni légale ». Un mouvement de fronde auquel, pour certains, le caractère lucratif de la PMA est loin d'être étranger, même si la plupart estiment « nécessaire d'éviter dans ce domaine les pratiques financières abusives ».

À la fin de l'année, la confusion la plus grande semblait d'ailleurs régner sur les intentions gouvernementales.

Des greffes in utero

Autre sujet de préoccupation : faut-il ou non autoriser les pratiques médicales et scientifiques sur les embryons et les fœtus humains ? En ce qui concerne le prélèvement de tissus d'embryons et de fœtus morts, à des fins thérapeutiques, diagnostiques ou scientifiques, la réponse reste encore relativement simple. « L'utilisation des tissus embryonnaires ou fœtaux dans un but thérapeutique doit avoir un caractère exceptionnel, justifié, en l'état actuel des connaissances, à la fois par la rareté des maladies traitées, l'absence de toute autre thérapeutique également efficace et l'avantage manifeste (tel que la survie) que retirera le bénéficiaire du traitement », estimait en décembre 1986 le Comité national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. C'est dans ce cadre que s'inscrit, par exemple, la première greffe in utero de cellules fœtales, effectuée à l'hôtel-Dieu de Lyon en juin 1988. Réalisée – avec succès – par les professeurs Jean-Louis Touraine et Daniel Raudrant sur un fœtus de vingt-huit semaines atteint d'un déficit immunitaire mortel et rarissime (le « syndrome des lymphocytes dénudés »), l'opération consistait à injecter, dans le sang du cordon ombilical et sous contrôle échographique, plusieurs millions de cellules fœtales extraites du foie et du thymus de deux fœtus morts à l'âge de sept et huit semaines.