Ces difficultés sont vécues selon trois modalités : un fatalisme teinté d'optimisme (les cigales), un défaitisme assorti d'un syndrome de victimes (victimes et fourvoyés) ou l'indifférence (les as du crédit, certaines cigales), qui, pas plus l'une que l'autre, ne permettent d'envisager un changement de comportement (sauf dans le cas des fourvoyés) ou l'adoption d'une attitude plus lucide face aux difficultés.

Le déclin de l'épargne

Malgré la croissance, relativement élevée, des taux d'endettement à des fins de consommation – c'est-à-dire l'élévation du rapport entre les crédits de trésorerie contractés et le revenu disponible brut –, les ménages français restent encore en retrait par rapport à ceux des États-Unis, pays où ils sont globalement les plus endettés. En 1987, l'ensemble de leurs engagements financiers (prêts à court terme et crédit immobilier) représentait près d'un an (91,4 %) de leurs revenus. En France, le taux n'atteint « que » 64,2 %. En 1985, les chiffres étaient respectivement de 84,9 % et 57,6 %. Les encours de prêts à court terme (automobile, trésorerie) ne couvrent aujourd'hui que 7 % des revenus disponibles des ménages français.

Autrement plus grave apparaît l'effet des crédits de trésorerie sur le taux d'épargne des ménages dont le déclin, observé dans les pays industrialisés, est jugé inquiétant tant par ses répercussions sur le financement des entreprises que sur l'équilibre du commerce extérieur (aggravation du déficit industriel).

D'une façon générale, si l'on admet au départ que l'endettement est dû fondamentalement à une insuffisance du revenu présent ou à venir, il faut s'attendre en conséquence à ce que les ménages cherchent, en empruntant, à s'affranchir de la contrainte des liquidités actuelles. De même, lorsqu'ils épargnent, c'est parce qu'ils cherchent à se libérer de la contrainte des liquidités futures.

En effet, l'épargne peut être regardée comme l'excès du revenu sur la consommation présente, constitué en réserve en vue des dépenses futures. Dans ces conditions, pour que le taux d'épargne ne baisse pas, il faut que les ménages anticipent une hausse suffisamment forte de leurs revenus ultérieurs.

Dans la réalité, l'éventualité d'une hausse du revenu a peu de chances de se produire, d'autant plus que c'est le niveau de l'épargne qui motive le recours au crédit. En d'autres termes, à partir du moment où l'insuffisance du revenu courant suscite l'endettement, il est évident que le taux d'épargne des ménages sera nécessairement affecté à la baisse à plus ou moins longue échéance. Pour qu'il en soit autrement, les ménages devraient connaître une hausse très élevée de leurs revenus et, en même temps, ils devraient renoncer à leurs habitudes d'achats à crédit de biens de consommation. S'ils ne procèdent pas à un autre choix (mais le peuvent-ils ?), la montée de leur endettement ne peut être que concomitante au déclin de leur taux d'épargne.

Cette simultanéité joue aussi bien en France que dans les autres pays industrialisés. En France, le taux d'épargne brut (c'est-à-dire l'excédent du revenu sur la consommation, exprimé en pourcentage du revenu disponible brut) des ménages a subi un déclin presque continu : il est passé de 20,2 % en 1975 à 12,5 % en 1988 ; on estime toutefois qu'il devrait se stabiliser autour de 12 %.

Mais la baisse est encore plus nette si, à la suite du Centre de recherche économique sur l'épargne (Paris), on retient le taux d'épargne net de la consommation de capital fixe (c'est-à-dire l'usure du capital-logement et l'amortissement du capital productif des petites entreprises) qui s'établit à 7,4 % en 1987 (15,7 % en 1975).

Le même déclin est observé dans les autres pays. Depuis 1975, année où le taux de l'épargne a atteint un sommet chez les membres de la CEE, on note une tendance persistante à la baisse, plus ou moins accentuée selon les pays : la part du revenu disponible que les ménages consacrent à l'épargne diminue d'année en année. En Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, ce taux est tombé à un niveau très faible, passant de 12 % et 3,9 % respectivement en 1975 à 5 % et 3 % en 1987 ; en l'espace de trois ans, il a été pratiquement divisé par deux.