Plus précisément, la recherche d'un crédit a amené les ménages à contracter de nouvelles habitudes en matière d'achats. D'une façon générale, ils veulent consommer immédiatement et payer plus tard (sans trop se soucier de savoir s'ils disposeront alors de revenus suffisants pour rembourser la charge d'emprunt). Afin de satisfaire leur appétit, sans cesse renouvelé, de consommation, les ménages n'hésitent pas à mordre aux nouveaux appâts des banques et des commerçants (petits ou grands) ; ils se laissent tenter par de petits crédits simples, souples et séduisants, dont le remboursement peut intervenir dans le mois, l'an ou même être effectué sur cinq ans. Ils peuvent alors acheter le produit qui vient d'être lancé (et qui est souvent issu d'une technologie avancée) ou prendre des vacances de rêve. Pour payer, il existe toujours une formule douce. Il suffit par exemple d'une ligne, juste une ligne supplémentaire sur un compte bancaire, un découvert généreux, une réserve de trésorerie ou surtout l'une de ces cartes magiques appelées cartes « de magasin ». Au moment de l'achat, il semble que celui-ci ne coûte pas très cher ; le crédit permet donc de vivre au-dessus de ses moyens, en attendant de les avoir.

Pour rechercher sa satisfaction immédiate sans s'interroger sur ses possibilités futures de remboursement, l'emprunteur a pu être qualifié de « myope » (D. Kessler). En outre, s'il se laisse facilement tenter, c'est qu'il ressent l'impression agréable d'appartenir à une autre société, plus active et plus dynamique ; de la sorte, comme le note M. Christine de l'INSEE, « les comportements d'endettement mettent en évidence une opposition entre les ménages qui symbolisent la société traditionnelle (inactifs, personnes âgées, agriculteurs...) et ceux qui représentent le « dynamisme » (actifs, jeunes ménages, cadres supérieurs, Parisiens...) ».

Les crédivores

À la demande du Comité des usagers et du Conseil national de la consommation, le Centre de recherche économique sur l'épargne (Paris) a réalisé une étude qualitative comprenant trente entretiens semi-directifs avec des personnes ayant connu récemment des incidents de paiement, entretiens destinés à mieux comprendre l'éclosion des situations d'impayés et la manière dont elles étaient vécues par les intéressés. À cette occasion, les personnes interrogées ont pu être classées en quatre types bien différenciés, ce qui représente autant de portraits des ménages endettés : les victimes, les cigales, les fourvoyés et les as du crédit.

Les victimes se distinguent par des budgets très serrés et une hantise d'incidents éventuels (plus que par la survenance effective d'impayés). Elles tiennent une comptabilité serrée de leurs sorties et s'efforcent de constituer des provisions de précaution. Elles occupent souvent un emploi stable (type fonction publique), qui leur donne un accès relativement facile au crédit, mais qui est faiblement rémunéré et sans perspectives d'augmentation (d'où une solvabilité fragile). Méfiantes vis-à-vis du crédit revolving, elles recourent plus volontiers au crédit affecté.

Les cigales vivent dans une situation plus précaire et plus grave mais résultant le plus souvent de « choix de vie » (abandon d'un emploi jugé peu épanouissant par exemple). Jeunes, célibataires et sans charges de famille, elles n'établissent aucun budget. Souvent interdites de cartes bancaires, elles cumulent crédits revolving et prêts affectés.

Les fourvoyés sont victimes d'un engrenage lié à une décision d'emprunt impulsive et sans rapport avec leur capacité de remboursement (achat d'un logement et d'une voiture neuve par un jeune ménage). En situation de contentieux ou de renégociation difficile, ils éprouvent le sentiment d'avoir été abusés.

Les as ou les virtuoses du crédit aux ressources souvent abondantes pratiquent le « crédit-mode de vie » et se sentent bien armés pour utiliser le système de la fuite en avant tout en restant dans les limites d'une situation négociable avec leur banque. Ils cumulent les différents types de prêts.