Journal de l'année Édition 1989 1989Éd. 1989

Point de l'actualité

Les prisons

Étrange année en matière pénitentiaire où l'on dut passer du « tout carcéral » d'Albin Chalandon à l'humanisme tendre de Pierre Arpaillange. Surpeuplées, explosant ici ou là au gré de mutineries d'une violence jamais vue depuis 1974 (ce fut le cas à Saint-Maur, Ensisheim et Besançon), les prisons n'ont cessé, en 1988, de préoccuper les gouvernants.

Après le débat avorté sur les prisons privées, « le programme des 15 000 places » d'Albin Chalandon devait être réduit à 13 000 et la prépondérance du secteur public – notamment en ce qui concerne la surveillance – était largement restaurée par Pierre Arpaillange. Conséquence logique d'un plan ambitieux dont la charge financière était repoussée après l'élection présidentielle, le budget de la justice, grevé de ce poids si lourd, allait s'attirer les critiques de tous : élus de droite et de gauche, magistrats, avocats et bien entendu personnels pénitentiaires. Après le « couac » de la levée de l'isolement des détenus politiques décidée dans la précipitation par le garde des Sceaux au moment du vote de la loi d'amnistie, la confiance passait mal entre les personnels pénitentiaires et le ministre, perçu, à tort ou à raison, comme plus sensible aux revendications des détenus qu'à celles de leurs gardiens. L'intervention – musclée – de Matignon, qui opérait une volte-face et contraignait les gardiens à remettre à l'isolement les terroristes qu'ils venaient de regrouper, commençait d'entrée de jeu à fragiliser un garde des Sceaux novice qui n'en avait pas besoin.

Dès lors, rampante tout au long de l'été, la crise des prisons éclatait à l'automne. Déçus d'une loi d'amnistie limitée accompagnée d'une grâce présidentielle qui avait conduit à ne libérer « que » 5 171 détenus (sur plus de 52 000), et las d'attendre des améliorations de leurs conditions de vie, les détenus lançaient à la mi-septembre un mouvement de « grève des plateaux » (qui consistait à refuser l'ordinaire de la prison) sans précédent par son ampleur (près de 6 000 refus ont été enregistrés) et surprenant dans ses modalités (il fut annoncé comme un mouvement syndical ordinaire).

Peu de temps après, s'appuyant sur un conflit ouvert entre les surveillants des Baumettes et leur directeur accusé de favoriser le retour du « caïdat » en appuyant des expériences socio-éducatives trop audacieuses, les gardiens entraient à leur tour en ébullition. D'abord mésestimée, l'ampleur du mouvement allait surprendre tous les services du ministère. Bloquant les écrous et les extractions, interdisant les parloirs avec les avocats, les gardiens ont fait courir à la justice le risque de la paralysie. Débordés par leur base, les syndicats ne sont pas parvenus à enrayer le mouvement, qui, au bout d'une douzaine de jours, atteignit plus de la moitié des 180 établissements de la métropole.

Contraintes de parquer les détenus dans les « souricières » des palais de justice, les dépôts ou les gendarmeries, les autorités faisaient pâle figure. D'autant que, dans le même temps, et très symboliquement, il avait fallu renvoyer le procès des membres d'Action directe soupçonnés de l'assassinat du P-DG de Renault, Georges Besse, que leurs gardiens refusaient de faire sortir de prison.

Rude rentrée pour le garde des Sceaux ; il lui fallut accepter en plein conflit l'irruption d'un médiateur, M. Gilbert Bonnemaison, qui, le 8 octobre, réussit à l'arraché à obtenir le retour au calme en échange de créations de postes, d'aménagements de carrière, de crédits pour améliorer les conditions de travail, et de la promesse d'un réexamen total des problèmes des surveillants. M. Bonnemaison disposait de trois mois pour rendre son rapport. Il n'a plus les moyens de décevoir. Relayée par d'autres – infirmières, postiers, cheminots –, la colère des obscurs de la fonction publique risque bien, sinon, de s'exprimer de nouveau. Haut et fort.

Agathe Loceart