La gestion de l'après-schisme est en effet très délicate. Comme prévu, la famille traditionaliste a perdu plusieurs de ses membres – prêtres et séminaristes – au lendemain des sacres d'Écône. Les laïcs cependant ont peu suivi, pour le moment, ce mouvement de « retour à Rome ». La Fraternité Saint-Pie X risque de se trouver de plus en plus isolée dans le monde catholique. Comment, dans ces conditions, faciliter la réintégration des « repentis » et satisfaire un camp, sans mécontenter celui du clergé et des fidèles qui n'ont jamais failli dans leur fidélité au concile Vatican II et au pape ? Tel est bien le cas de conscience posé au Vatican et aux épiscopats des principaux pays concernés. C'est une certaine image de l'Église qui est en jeu.

Les organisations traditionalistes

Le trouble créé à l'intérieur de l'Église catholique par la rupture de Mgr Lefebvre tient plus à sa dimension historique et symbolique qu'à son extension numérique et géographique. La Fraternité Saint-Pie X compte 250 prêtres environ et presque autant de séminaristes répartis dans cinq établissements : le séminaire d'Écône en Suisse où réside le prélat ; le premier cycle de théologie ouvert en 1986 à Flavigny (Côte-d'Or) ; Schierling en Bavière (RFA), qui compte 60 séminaristes environ ; la Reja près de Buenos-Aires (Argentine) et Ridgefield (Connecticut, États-Unis) avec respectivement 80 et 60 postulants au sacerdoce.

Mgr Lefebvre a ordonné 230 prêtres environ dans la Fraternité, sans compter les jeunes religieux qu'il a élevés à la prêtrise dans des monastères en rupture avec leur ordre. La Fraternité est présente dans vingt-huit pays, divisée en onze districts internationaux (France : 55 prêtres Suisse, Allemagne, Autriche, Angleterre, Canada, États-Unis, Amérique du Sud, Mexique, Afrique du Sud, Australie).

Les implantations significatives sont cependant situées en France, en Suisse et en Allemagne fédérale. La Fraternité contrôlerait cinq cents lieux de culte environ en Europe : des chapelles, des églises cédées ou illégalement occupées (comme Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris et Saint-Louis de Port-Marly dans les Yvelines), des prieurés (une trentaine en France) et sept carmels dont la supérieure n'est autre que Mère Marie-Christiane, la sœur de Mgr Lefebvre. Elle compte enfin des écoles primaires des collèges et lycées (cinq en France), un institut universitaire (Saint-Pie X à Paris), une maison d'édition (Fideliter) et de nombreuses publications.

Mais la Fraternité est au centre de la grande toile du catholicisme traditionaliste qui, en France notamment, compte plusieurs communautés religieuses dont les plus célèbres sont les dominicaines de Fanjeaux (Aude) et de Brignoles (Var), les capucins de Morgon (Côte-d'Or), les dominicains d'Avrillé (Deux-Sèvres) et de Chéméré-le-Roi (Mayenne), les bénédictins du Barroux (Vaucluse). Autour d'elle gravitent encore des associations comme le comité Chrétienté-Solidarité de M. Bernard Antony, dit Romain Marie, organisateur à chaque Pentecôte d'un pèlerinage à Chartres réunissant plusieurs dizaines de milliers de fidèles ; des troupes de Scouts catholiques de France ; le Mouvement de la jeunesse catholique de France ; un quotidien, Présent, qui est aussi porte-parole de M. Jean-Marie Le Pen, etc.

Après le schisme, les principales défections se sont produites sur les marges de la Fraternité Saint-Pie X, comme le montre le ralliement à Rome de bénédictins du Barroux ou de dominicains de Chéméré. Le comité Chrétienté-Solidarité est très divisé, depuis la prise de position de son président, M. Bernard Antony, défavorable aux sacres d'Écône. Le quotidien Présent, habituel soutien des thèses de Mgr Lefebvre, s'est fait beaucoup plus discret et se contente le plus souvent d'une relation sans commentaire d'événements qui ont ébranlé la famille française de la Tradition catholique.

Henri Tincq
Journaliste, Henri Tincq est spécialiste des questions religieuses au Monde.