C'est bien plus tard, après la rupture, que le Vatican rendra public le déroulement de la négociation et le protocole d'accord qui fut signé à Rome le 5 mai 1988 entre le cardinal Josef Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, et Mgr Lefebvre, mais que celui-ci, dès le lendemain, devait dénoncer. Il montre jusqu'à quel point et au prix de quelles concessions le Vatican avait tenté de mettre fin à la dissidence traditionaliste.

Certes, Mgr Lefebvre promettait de taire ses critiques contre le pape, sa conduite de l'Église, les réformes du concile Vatican II, de reconnaître la validité de la messe et des sacrements célébrés dans le rite « moderne » et de se plier à la règle commune de l'Église définie par le nouveau droit canon de 1983. Mais, en retour, la Fraternité Saint-Pie X se voyait érigée en « société de vie apostolique de droit pontifical », c'est-à-dire rattachée directement à Rome et échappant à la tutelle des évêques diocésains. On lui reconnaissait le droit d'utiliser les rituels liturgiques en vigueur avant le concile, c'est-à-dire en particulier la messe en latin selon le rite de saint Pie V. Mgr Lefebvre avait surtout pu obtenir du pape qu'il nomme un évêque à partir d'une liste de trois noms proposée par sa Fraternité.

En bref...

Né à Tourcoing (Nord), le 29 novembre 1905, dans une famille de petits industriels des filatures, Marcel Lefebvre reçoit une éducation religieuse très stricte. Après des études au séminaire français de Rome, il est ordonné prêtre en 1929.

Entré à la Congrégation des pères du Saint-Esprit (les spiritains), il est nommé directeur du séminaire de Libreville, au Gabon. En 1947, à 42 ans il est sacré évêque et nommé vicaire apostolique en Afrique francophone ; en 1955, il devient le premier archevêque de Dakar. En 1962, il revient en France, où il est nommé évêque de Tulle, puis élu supérieur général des spiritains.

Lors du concile Vatican II, il se manifeste par son opposition à la réforme de la liturgie, aux assouplissements apportés à la discipline ecclésiastique et à la nouvelle collégialité des évêques.

En 1968, il abandonne la direction de sa congrégation. En 1970, avec T accord de l'évêque du lieu, ratifié par Rome, il fonde à Fribourg, en Suisse, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et le séminaire international du même nom, bientôt transféré à Écône, dans le Valais.

En 1974, il publie une profession de foi dans laquelle il critique « la Rome de tendance postmoderniste et néo-protestante », puis, le 29 juin 1975, il ordonne sans autorisation trois prêtres formés à Écône et treize autres un an plus tard.

Le 24 juillet 1976, Paul VI le déclare suspens a divinis et lui interdit de célébrer publiquement la messe et d'administrer les sacrements. Il n'en continue pas moins à ordonner des prêtres et à donner la confirmation.

Le 18 novembre 1978, il est reçu par le nouveau pape, Jean-Paul II. Cette rencontre reste sans résultat et ne sera pas renouvelée. Neuf ans plus tard, à la fin de 1987, Mgr Lefebvre ayant fait savoir que, pressé par son âge, il entendait donner à son œuvre un ou plusieurs évêques pour assurer sa pérennité, le Vatican chargea le cardinal canadien Édouard Gagnon d'effectuer une enquête dans l'ensemble des lieux de culte et d'enseignement de la Fraternité et de préparer un accord en vue de leur régularisation. La suite est connue.

Le scénario de la rupture

Pourtant, le lendemain de la signature de ce protocole, le vieux prélat devait se raviser. Il insistait auprès du Vatican pour que cet évêque, qui préserverait l'avenir au cas où lui-même disparaîtrait, soit nommé et ordonné dans les plus brefs délais, avant le 30 juin. En cas de réponse négative, il passerait lui-même à l'acte. D'ultimes tractations eurent lieu entre lui et le cardinal Ratzinger ou ses émissaires.

Rien n'y fit. On ne passe pas vingt années dans le ressentiment sans que les tensions ne s'accroissent. Un protocole a bien été signé, mais la confiance n'a jamais été rétablie. « Le Vatican nous a menés en bateau » ; « on nous a tendu un piège » ; « on a voulu nous ramener au concile », devait plaider, le 15 juin suivant, devant les journalistes, l'évêque dissident. Le 30 mai, alors qu'il venait de recevoir de Rome l'assurance qu'un évêque traditionaliste serait nommé avant le 15 août par Jean-Paul II, il faisait brusquement monter les enchères, demandait la nomination de trois évêques au lieu d'un, et revendiquait, pour les siens, la majorité de la commission chargée de l'application de l'accord.