L'argent n'est donc plus un sujet tabou en France ; il est dans toutes les conversations et se trouve au sommet de l'échelle des revendications. Mais, si les Français acceptent plus facilement d'en parler, c'est surtout pour évoquer celui des autres. On se souvient du tollé provoqué par le montant du salaire de Christine Ockrent, de la polémique autour de celui de Jacques Calvet, patron de Peugeot-Citroën, ou de celle que déclenchèrent les prétentions d'Yves Montand (800 000 F pour une émission sur TF1). Même l'image du sport est enlaidie par l'ombre de l'argent, quand ce n'est pas par la tricherie, comme l'ont montré les jeux Olympiques de Séoul (voir le phénomène sportif, par Philippe Simonnot).

Il ne fait guère de doute que les inégalités, voire les injustices en matière de revenus, sont l'une des causes importantes des difficultés de communication des Français entre eux.

Les Français orphelins

La plupart des mouvements récents de la société française vont dans le sens d'une désagrégation des relations sociales. Le culte du confort et du plaisir immédiat, l'importance prise par le foyer, le mauvais climat social, le sentiment d'insécurité morale et physique, etc., font que les Français sont inquiets et donnent plus que jamais la priorité à l'individu sur la collectivité. À tel point qu'on est en présence d'une sorte de non-société dans laquelle les relations humaines sont réduites et appauvries, tandis que seules demeurent les relations fonctionnelles minimales. Le résultat est que beaucoup de Français se sont placés en position de spectateur de la vie et du monde et tendent à vivre leur propre vie par procuration, confortablement installés devant leur poste de télévision.

Cette situation particulière s'explique d'abord par la perte de crédibilité des experts, des institutions et des intellectuels depuis les débuts de la crise économique, sociale, culturelle et morale de ces quinze dernières années. Les experts n'ont pas été capables de la prévoir. Les institutions (l'État, les partis politiques, les syndicats, l'école, l'Église) ont montré leur incapacité à résoudre ou même à enrayer les problèmes qu'elle engendrait. Les intellectuels de tous bords n'ont pas su l'expliquer. Il faut ajouter à cela le fait que la promotion sociale, qui avait jusqu'ici un caractère automatique, par le jeu de la croissance économique et de l'ancienneté, n'est plus garantie, en particulier dans les secteurs concurrentiels.

Les Français se sentent donc aujourd'hui orphelins. Orphelins des partis politiques et de l'Église, qui n'assurent plus leur rôle de protecteur, de guide ou d'entraîneur. Beaucoup en ressentent une frustration qui peut, par exemple, expliquer en partie la montée de l'intégrisme catholique (voir le dossier de l'affaire Lefebvre, par Henri Tincq). Même les tentatives d'ouverture politique du Premier ministre, M. Michel Rocard (voir la découverte de la société civile), n'ont pas réussi à réconcilier les Français avec la politique.

Vingt ans après Mai 68, les ingrédients d'un nouveau « krach social » sont aujourd'hui réunis. Il suffirait pourtant, pour l'éviter, que les énergies individuelles, qui restent vives et disponibles, soient « récupérées » au profit de la collectivité. L'élargissement progressif de celle-ci à l'Europe est peut-être un moyen d'y parvenir, en donnant un sens et un souffle aux dernières années de ce millénaire.

Gérard Mermet

Enseignement

Conduire 74 % ou 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat en l'an 2000 est une ambition qui nécessite une continuité politique impossible à maintenir en année électorale.

Elle réclame aussi des moyens considérables. Compte tenu des départs à la retraite, René Monory estimait dès le 15 décembre 1987 à 130 000 et à 160 000 le nombre des instituteurs et celui des professeurs du second degré à recruter par l'État, qui devrait donc gérer 630 000 enseignants en 2000. Malheureusement, la dégradation des conditions de travail et le déclassement des universités constaté par le rapport Durry, publié le 18 février 1988, tarissent le recrutement. Au nord de la Loire, le nombre de postes d'instituteurs à pourvoir reste supérieur à celui des candidats. Dans le second degré, la situation est pire, notamment en mathématique, puisqu'il faudrait recruter annuellement par concours 1 000 à 1 500 professeurs alors que les universités n'ont délivré en 1985 que 1 016 licences de cette spécialité, dont 863 à des étudiants français ! Ce déficit d'enseignants est d'ailleurs aggravé par l'attraction qu'exercent sur ces derniers les emplois mieux rémunérés du secteur privé. Pour le réduire, René Monory a proposé une revalorisation des salaires de 10 % pour les instituteurs, de 10 à 15 % pour les professeurs.