Cordovez annonce aussitôt que les pourparlers de Genève vont reprendre le 2 mars. Les États-Unis réagissent favorablement en dépit du fait, affirme-t-on à Washington, que l'offre de Gorbatchev n'est pas le résultat de tractations entre les deux Grands. Mais elle s'inscrit dans le calendrier des relations soviéto-américaines. Dans la troisième semaine de février, comme prévu, George Shultz, le secrétaire d'État américain, se rend à Moscou dans le cadre de la préparation du dernier sommet Reagan-Gorbatchev. Ce sommet doit aussi avoir lieu fin mai, soit au lendemain de la date du 15 mai proposée par Gorbatchev pour le début du retrait militaire soviétique.

Les pourparlers « indirects » de Genève reprennent, comme convenu, le 2 mars. Ils vont traîner en longueur, car le Pakistan, qui accueille non seulement le plus grand nombre de réfugiés, mais également plusieurs camps de la résistance, souhaite qu'un accord sur le retrait soviétique s'accompagne d'un règlement interne. Que les différents mouvements de résistance – regroupés au sein d'une alliance assez lâche – dénoncent par avance tout accord à Genève n'a pas de quoi surprendre : ils n'y sont pas associés. Mais leur attitude souligne l'impossibilité d'aboutir au règlement souhaité par le Pakistan, inquiet de voir les combats redoubler d'intensité dans la foulée du retrait soviétique.

Un retrait « à chaud »

La date-butoir fixée par Gorbatchev (le 15 mars) passe donc sans qu'un accord soit signé. Il faut encore trois semaines de négociations pour qu'une entente se réalise le 8 avril. Elle est signée le 14, l'URSS et les États-Unis se portant garants du texte accepté par Kaboul et par le Pakistan. Celui-ci prévoit un retrait soviétique dans un délai de neuf mois, du 15 mai 1988 au 15 février 1989 ; de plus, la moitié du contingent soviétique – 115 000 hommes – doit être rapatriée le 15 août 1988. Il est prévu qu'un groupe d'observateurs de l'ONU se rende sur le terrain pour surveiller l'opération.

Il s'agit, en fait, d'un accord sur le désengagement soviétique et non sur le règlement du conflit. Une clause essentielle, qui ne figure pas dans le texte, concerne la « symétrie positive » : Moscou et Washington ne renoncent pas à aider leurs partenaires locaux respectifs – notamment en ce qui concerne la livraison d'armes – mais s'entendent pour que les niveaux de ces aides coïncident. Les deux grandes puissances ont défini les règles du jeu et renoncé à négocier l'insurmontable, à savoir un cessez-le-feu et l'amorce d'un dialogue entre Kaboul et la résistance. Les Soviétiques vont donc opérer un retrait à chaud, car la « guerre sainte » va se poursuivre contre leurs protégés de Kaboul.

Si l'accord de Genève constitue une date dans l'histoire des relations internationales – et le premier acquis de la « nouvelle pensée » soviétique en matière de diplomatie –, il ne signifie pas, tant s'en faut, le rétablissement de la paix. Gardant ses options ouvertes, Moscou espère toujours que le régime de Kaboul pourra encore tirer son épingle du jeu et maintenir son autorité au moins sur la partie septentrionale de l'Afghanistan, frontalière de l'URSS. La partition du pays ne peut être exclue. Quant aux moudjahiddines – divisés entre modérés et fondamentalistes mais aussi par régions –, ils sont fatalement poussés à la guerre, chaque mouvement s'inquiétant, le cas échéant, des gains du voisin. Le Pakistan – du moins, avant la mort du président Zia Ul Haq, tué dans un « accident » d'avion en août – a tendance à encourager les fondamentalistes et à souhaiter l'effondrement du régime de Kaboul dans la foulée de l'évacuation des Soviétiques. Les États-Unis, en revanche, font pression sur les résistants pour que ces derniers n'utilisent pas les armes que Washington continue de leur faire parvenir contre les unités soviétiques qui se retirent.

La résistance attaque

Le repli militaire soviétique débute le 15 mai, comme convenu, en grande pompe ; des dizaines de journalistes occidentaux ont été invités à Kaboul pour l'occasion. Dix jours plus tard, dans un exercice nouveau de « transparence », l'état-major soviétique fournit le bilan de son intervention en Afghanistan : entre le 27 décembre 1979 et le 15 mai 1988, les pertes de l'Armée rouge se sont élevées à 14 310 tués, 35 478 blessés et 311 disparus. Moscou affirme que 100 300 soldats soviétiques se trouvaient encore en territoire afghan le 15 mai. Sur ces effectifs, 9 500 ont été retirés le 26 mai et 20 000 environ à la fin du mois de juin. Conformément à l'accord, 50 000 hommes sont partis le 15 août. Mais, fin septembre, à l'ONU, le ministre soviétique des Affaires étrangères affirme que, au cours des six semaines qui viennent de s'écouler, aucun nouveau retrait n'a eu lieu. Cette « suspension » des rapatriements, ajoute-t-il, ne remet cependant pas en cause la volonté soviétique d'avoir évacué militairement l'Afghanistan le 15 février 1989.