Journal de l'année Édition 1989 1989Éd. 1989

L'année du consensus

Chargés de l'organisation des plus grands Jeux de l'histoire par leur ampleur et leur niveau technique, les Coréens du Sud ont parfaitement su remplir leur délicate mission. Pour la première fois depuis seize ans, les meilleurs athlètes ont pu concourir hors des entraves que sont les contingences politiques. Bien que ces olympiades aient été perturbées par le problème du dopage, ainsi que par la contestation de quelques arbitrages partisans, les assauts de violence dont elles avaient été menacées ne se sont pas produits. Et, après 16 jours de compétition acharnée, au cours desquels les champions de toutes les disciplines ont multiplié les exploits, le festival olympique s'est terminé par une cérémonie de clôture haute en couleur et empreinte d'amitié. Un adieu qui n'est qu'un au revoir. C'était bien là le couronnement de l'entreprise qui avait occupé un pays tout entier pendant sept ans. Surmontant les difficultés, les critiques et l'agitation estudiantine, la Corée du Sud pouvait s'honorer de l'un des plus beaux succès de son histoire. Sur cette terre divisée, la jeunesse du monde entier avait prouvé une nouvelle fois que la force de la fraternité et de la paix pouvait triompher de toutes les barrières idéologiques.

Mais l'événement choc de l'année 1988 restera l'affaire du dopage de Ben Johnson. À l'inverse du maillot jaune du Tour de France, l'Espagnol Pedro Delgado, le Canadien n'a pas bénéficié de la clémence des juges. Le champion olympique du 100 m, l'épreuve reine des Jeux de Séoul, a été justement disqualifié. Cette décision est tout à l'honneur du président de la commission médicale du CIO, le prince Alexandre de Merode, qui a sanctionné le fautif, alors qu'à sa place beaucoup de présidents de fédérations internationales n'auraient pas hésité un seul instant à cacher la vérité afin que l'opprobe ne les atteigne pas. Plus que jamais, le prestige de l'olympisme est sorti grandi de ce scandale, au moment même où, contrairement aux idées reçues, la course-poursuite qui oppose les alchimistes de la topette aux toxicologues tourne à l'avantage de ces derniers. En réalité, la lutte contre ce fléau sera en partie gagnée lorsque seront institués partout dans le monde des contrôles inopinés hors compétition, en période d'entraînement.

Une cascade d'exploits

L'année 1988 ne s'est pourtant pas résumée aux seuls jeux Olympiques. Elle a également permis à de nombreux champions d'accomplir des performances exceptionnelles. Durant ces douze derniers mois, six d'entre eux se sont particulièrement mis en évidence : la « bombe » californienne Florence Joyner-Griffith, qui a réinventé le sprint féminin ; l'Allemande de l'Ouest Steffi Graf, devenue à moins de 20 ans la troisième joueuse de tennis à remporter les quatre épreuves du grand chelem ; le Suédois Mats Wilander, installé à la place de numéro 1 mondial après ses victoires dans trois des quatre plus grands tournois de l'année ; le pilote automobile brésilien Ayrton Senna, vainqueur d'Alain Prost lors du dernier championnat du monde de F1 disputé par des voitures équipées d'un moteur turbo ; le boxeur américain Ray Sugar Leonard, premier dans l'histoire à avoir coiffé la couronne suprême dans cinq catégories différentes ; son compatriote Harry Butch Reynolds, auteur sur 400 m plat d'un fabuleux 43″ 29 qui efface enfin le vieux record de Lee Evans, établi en altitude à Mexico en 1968.

En comparaison, le bilan français est plutôt maigre. Hormis celles qui se sont distinguées aux jeux Olympiques, les stars sont en voie de disparition, une espèce en danger de mort. Michel Platini n'a pas été remplacé, et, depuis, l'équipe de France est à la dérive, espérant être sauvée par celui qui en fut son maître à jouer il y a encore moins de trois ans. Henri Leconte n'a pas l'aura de Yannick Noah et pâtit de l'influence néfaste de son entourage. Digne héritier d'Éric Tabarly, Philippe Poupon souffre que la voile demeure un sport presque exclusivement pratiqué par les marins bretons. Désigné comme le successeur de Bernard Hinault, Jean-François Bernard n'a pas le caractère ni les capacités physiques de son aîné. Enfant chéri du public, l'arrière du XV de France Serge Blanco, surnommé le Pelé du rugby par les Britanniques, n'existe qu'avec le Tournoi des Cinq-Nations, soit quatre matches par an. En définitive, dans un milieu où le star-system est roi, seul Alain Prost a su garder son statut de vedette internationale. En attendant que d'autres prennent la relève ; il est actuellement l'unique champion français connu et apprécié dans le monde. C'est bien peu.