À qui appartiennent ces monuments protégés ? D'abord aux communes (62 %), puis aux propriétaires privés (28 %), et à divers organismes publics et autres collectivités territoriales (4 %). L'État n'en possède que 6 %. Près de la moitié de l'ensemble est d'ordre religieux, les châteaux et manoirs ne représentent que 11 % ; le reste se partage entre édifices civils, ouvrages militaires, parcs et jardins, ouvrages d'art, antiquités préhistoriques et historiques. Ajoutons qu'en ville, ce sont des périmètres entiers qui peuvent être protégés, les fameux « secteurs sauvegardés » créés par André Malraux, et dont la plupart des cités d'art se sont aujourd'hui dotées.

Alerte, on croule !

La réputation artistique de ce très vaste parc monumental n'est plus à faire, si sa promotion demeure très diversement assurée. Ce qui inquiète, c'est sa santé. En ce domaine, le dossier de l'Express prenait souvent l'allure d'un réquisitoire, d'un cri d'alarme. Les chiffres parlent. Les quelque 13 000 visiteurs classés auraient nécessité en 1988 des travaux d'un montant de 1,88 milliard de F, plus que la dotation budgétaire affectée au patrimoine tout entier pour 1989 (1,1 milliard de F). Celle-ci traduit pourtant une augmentation de 23 % par rapport à 1988, en autorisations de programme, et 5 % de plus que ce que prévoyait la loi de programme, pour cette année...

Si les monuments d'État ne représentent qu'une faible partie du parc patrimonial, les travaux d'urgence qu'ils requièrent devraient absorber 40 % du budget souhaitable. Mais pour régler ces seules urgences, il faudrait, indiquait l'Express, multiplier la dotation par 3,26 ! Qui n'aura été surpris d'apprendre que l'Arc de triomphe de l'Étoile, à Paris, monument emblématique s'il en est, et relativement récent, menaçait ruine, au point que des pierres s'en détachaient ? On pourrait multiplier les descriptions de statues rongées au point de n'être plus reconnaissables, aux portails des cathédrales ; entreprendre la liste des églises rurales en ruine ; rappeler l'inquiétude des habitants d'Azay-le-Rideau, relayée par la presse au cours de l'été, quant à la déplorable apparence du château qui fait la réputation de leur commune – au point que des agences de voyage ont ôté cette étape des circuits qu'ils proposent aux touristes !

Nécessité fait loi

Bien évidemment, cette situation n'est pas née d'un jour. Des décennies de négligence, d'imprévoyance ou d'incohérence y ont conduit. L'Administration le sait bien, toutefois, qui a compris l'impérieuse nécessité d'une loi de programme qui, si elle ne peut tout résoudre d'un coup, détermine au moins de grandes priorités, assorties de décisions budgétaires fixées pour cinq ans.

Cette loi a donc pris effet au début de 1988, et s'appliquera jusqu'à la fin de 1992. Sept points y sont fortement mis en avant. À commencer par le sauvetage des cathédrales, monuments plébiscités par les grands flux touristiques, mais aussi particulièrement menacés, très fragiles, notamment dans leur décor sculpté.

Plus modestes, mais part capitale du patrimoine architectural, les églises rurales sont aussi l'objet d'une priorité. Plus de 38 000 édifices cultuels parsèment le paysage français ; 18 % sont protégés ; seulement... Et des milliers d'églises et de chapelles totalement isolées sont menacées de disparition, désaffection aidant ! On compte au nombre de ces églises rurales aussi bien de très modestes édifices qui n'ont que leur charme ou leur âge a offrir, que des monuments insignes, tels Conques ou Saint-Savin. Cette dernière église, dont la voûte de nef s'orne du plus bel ensemble de peinture romane qui soit en France, appartient à une commune de moins de 1 500 habitants. Le seul entretien de cette « Sixtine de l'art roman » dépasse évidemment les possibilités du budget communal. Les règles ordinaires d'intervention de l'État ne peuvent donc pas s'appliquer à elle.

La restauration des jardins historiques s'annonce maintenant comme une nouvelle priorité. Versailles, sans son parc, ne serait plus Versailles, pour ne parler que du plus prestigieux exemple. Car l'on pourrait aussi citer les jardins du château de Hautefort, du parc d'Ermenonville, du fameux « désert » de Retz, ou encore des Tuileries. Les jardins historiques sont souvent bien plus en péril que les monuments dont ils sont à la fois l'écrin et le prolongement. Là aussi, il y a urgence.