De ce fait, les cinq premiers du classement – VW, Opel, Mercedes, Ford, Audi – perdent tous entre un demi-point et 8 points par rapport à 1987. À l'opposé, dopé par le succès de ses séries 5 et 7, BMW progresse de 27 % ! Chez les importateurs, les Français comme les Japonais baissent pavillon, Fiat étant le seul à progresser (de 3 %). Reste que les Japonais occupent désormais la seconde place avec 15,2 %, Ford atteignant 10 %. Paradoxe : alors que ses deux filiales comptent parmi les meilleurs constructeurs européens, leur statut les empêche de travailler avec les « vrais » Européens dans le cadre du groupe des constructeurs du Marché commun (GCMC).

Mais, si l'Allemagne baisse, les trois autres grands marchés, France, Grande-Bretagne et Italie, vont pulvériser leurs records. Les 6 % supplémentaires de la France, les 11,5 % de la Grande-Bretagne et les 8 % de l'Italie font que ces trois marchés vont passer le cap des deux millions : 2,1 pour la France, 2,35 pour l'Angleterre et 2,2 pour l'Italie. Jusqu'ici seconde, la France est donc doublée. La relative stagnation de l'économie, les nombreuses périodes électorales, peu propices au négoce, ont freiné l'élan des acheteurs alors que la situation de l'Italie, très peu gouvernée, et celle de l'Angleterre de Mme Thatcher expliquent la bonne tenue des ventes en Europe.

C'est aussi le beau fixe en Belgique (+ 6 %), en Suisse (+ 6,5 %), en Espagne (+ 15,9 %) et au Portugal (+ 65 %). Seuls la Hollande et le Danemark piétinent, mais, au niveau global des résultats, cela freine à peine la progression.

À qui profite cette expansion ? À tout le monde, sauf à Ford, qui a trop tardé à renouveler sa gamme, et à Renault, en période de lancement de la R 19. Les Japonais (+ 4,5 %) n'ont fait que suivre le marché sans pénétrer davantage. Pourtant, les progressions sont variables suivant les groupes. Fiat passe en tête avec 14,8 % devant VAG, 14,5 %, alors que le classement était parfaitement inversé en 1987. Le mouvement le plus spectaculaire reste cependant celui de PSA, qui grimpe de 11,7 à 12,6 % (+ 14 %) et semble encore en phase ascendante. Quatrième, Ford perd du terrain, de 12,1 à 11,6 %, mais on sait que la nouvelle Fiesta arrivera en 1989, précédant d'un an la future Escort. Cinquièmes, les Japonais restent à 11,5 % de pénétration et ne peuvent guère espérer mieux car la France, l'Espagne et l'Italie limitent arbitrairement l'entrée des véhicules nippons.

L'Espagne, un « ventre mou »

Les 3 % du quota français et les 2 200 voitures italiennes gênent considérablement le Japon. Il existe un accord avec l'Italie, bien que les 3 % soient sans fondement juridique..., mais ils sont très efficaces. Les importateurs nippons estiment qu'ils occuperaient entre 12 et 15 % du marché français s'ils étaient libres, et autant en Espagne et en Italie.

On estime notamment que l'Espagne, qui stagnait à 500 000 ventes annuelles jusqu'en 1987, frise le million en 1988 et devrait croître jusqu'à 1,5 million à l'horizon de 1995. Pays constructeur méconnu (comme la Belgique, qui produit 1,5 million de véhicules sous les marques Renault, Ford, Volvo, VW), la péninsule a su attirer Renault, Citroën, Peugeot, VW, Ford, GM, qui investissent de nouveau massivement.

Pour l'Europe des constructeurs, l'Espagne représente cependant un danger, un « ventre mou » dans la défense du continent, puisque les Japonais y sont installés. Par le biais d'Ebro, Nissan a pris pied sur le marché du gros 4 × 4, imité un peu plus tard par Suzuki et par Santana. Tandis que Suzuki envisage pour 1989 la production d'un second 4 × 4, Nissan investit quatre milliards de francs à Barcelone pour construire avec Ford un nouveau modèle tout-terrain.

L'Espagne est la seconde branche de la tenaille – la première étant les pays de l'Est – qui encercle l'Europe « dure », continentale, celle des marques européennes. Et cette « pince » se prolonge en Angleterre, où Honda règne sur Rover.

Gare aux « usines tournevis » !

Plus grave encore est l'installation par Nissan à Washington (Grande-Bretagne) d'une unité pouvant produire – à terme – jusqu'à 250 000 Bluebird. Le raisonnement est clair : « Puisque nous ne pouvons détruire les quotas nationaux, produisons sur place. » Toutefois, cette répétition du système, si efficace aux États-Unis, n'est pas couronnée d'autant de succès. En France notamment, avec Jacques Calvet, président de PSA, il s'est élevé des voix pour s'opposer aux « usines tournevis », où les Européens devraient se contenter d'assembler des composants nippons suivant les directives de la maison mère. Pour protéger la créativité – et finalement l'indépendance – de l'Europe, d'autres voix ont fait écho à celle de Jacques Calvet (chez VW notamment) et alerté les autorités de Bruxelles. D'abord réticentes, celles-ci ont fini par adopter les thèses du CCMC et sont devenues plus exigeantes sur le contenu européen des voitures japonaises fabriquées dans la CEE. Ainsi, Paris refuse de considérer la Bluebird « anglaise » comme européenne car son contenu local ne dépasse pas 60 %. Ce dernier chiffre satisfaisait la Grande-Bretagne mais pas la France, qui réclame 80 %. À la fin de 1988, le problème juridique n'était pas réglé, mais cette défense d'un nouveau type a tempéré les ardeurs japonaises, d'autant qu'on parle toujours de « quotas » à l'échelon européen... Le Japon envisage donc de changer de tactique : « Associons-nous à eux, plutôt que de construire des usines », tel est le nouveau mot d'ordre pour 1989...