Au-delà de leurs divergences d'appréciations sur la situation économique et financière, optimistes et pessimistes s'accordent pour réclamer des mesures de contrôle ou de surveillance des marchés financiers. Des pas ont été accomplis dans cette direction avec les tentatives de réglementation et de réintermédiation. Mais est-ce suffisant ?

L'informatique et la crise

Lors de la crise boursière du 19 octobre 1987, l'informatique a accru la brutalité de la chute du cours des actions.

L'accélération a été provoquée par l'interaction perverse entre les ventes sur le marché des options à Chicago et sur le terme et le comptant à New York. Plus précisément, l'aggravation a résulté du recours à des programmes informatiques de gestion de portefeuille (portfolio insurance). Il pouvait s'agir par exemple de simples opérations d'arbitrage liées à une divergence qui se serait produite entre le coût de l'acquisition d'un panier d'actions représentant un indice donné, et le cours coté à terme pour un contrat correspondant (index futur).

Ce recours présente toutefois plusieurs avantages : grâce à des programmes appropriés, il doit déceler à temps les écarts qui peuvent se produire entre les cours des actions au comptant et celui de l'indice à terme (ou éventuellement des options correspondantes) ; en second lieu, il permet d'assurer une exécution pratiquement instantanée des ordres afin d'éviter tout risque de variation des cours.

Le « program-trading » (exécution de programmes informatiques de gestion de portefeuilles) donne satisfaction tant que l'objectif consiste à limiter les pertes d'un investisseur, c'est-à-dire tant que cette méthode n'est pratiquée à la marge que par quelques personnes ; elle devient dangereuse pour le marché financier dès lors qu'elle se généralise.

Le 19 octobre 1987, de New York à Los Angeles, une clientèle paniquée faisait pleuvoir sur les intermédiaires un déluge d'ordres de vente se chiffrant à des millions de dollars par heure. Pour pouvoir satisfaire les demandes de rachat présentées massivement par les porteurs de parts, les fonds d'investissement liquidaient eux aussi les actions par paquets. Dans cet effondrement des cours, le coup de grâce devait être porté par les « program tradings ». Il a suffi que sur les graphiques certains paliers à la baisse soient atteints pour déclencher automatiquement de nouvelles vagues de vente.

Les ordinateurs ont non seulement imprimé un mouvement de baisse à Wall Street, mais encore ils ont suscité une dynamique propre rendant impossible tout freinage de la chute des cours. En effet, des répercussions se sont fait sentir à Chicago, où les grands opérateurs ont liquidé des contrats pour se couvrir contre une chute éventuelle de Wall Street. Sur cette dernière place, on a pu observer une suite immédiate ; pratiquant un véritable jeu de ping-pong, les acheteurs de contrats ont voulu se couvrir à leur tour en vendant sur le terme. Lorsque le contrat était bon marché par rapport au cours des actions, l'arbitrage de base entre New York et Chicago a cherché à acheter le premier tout en vendant les secondes. C'est ainsi que la baisse de Chicago a provoqué infailliblement celle de New York.

Normalement, la régularisation aurait dû intervenir après cette dernière réaction étant donné qu'au bout d'un certain temps l'occasion de profit disparaît ou bien joue dans l'autre sens ; les actions deviennent alors bon marché par rapport au prix du contrat.

Le 19 octobre 1987, le début du scénario s'est bien mis en place ; mais la suite s'est déroulée autrement. Le premier effet (la baisse de Chicago a entraîné celle de New York) s'est répété inlassablement et a empêché le second (la baisse de New York aurait dû entraîner la remontée de Chicago). L'interaction perverse qui s'est créée entre les deux places a donc tenu en partie à un afflux de ventes exogènes à Chicago et en partie aux arbitrages déclenchés automatiquement par les programmes d'ordinateurs.

Pour prouver a contrario l'efficacité de la technique informatique, on peut rappeler qu'un faible volume d'ordres donnés sur un marché aussi étroit que celui de Chicago a suffi pour que la tendance se renverse et que les cours remontent dès le 20 octobre. Les « program tradings » vont donc maintenant tenir le même rôle qu'auparavant, mais à la hausse.

En 1988, cette action de l'informatique a été analysée de façon critique. Au-delà des controverses, il a été demandé aux instances professionnelles de surveiller plus rigoureusement l'évolution des marchés afin d'éviter qu'une variation même minime ne provoque des réactions trop fortes dans un sens ou dans un autre.

Gilbert Rullière
Directeur de recherche au CNRS, spécialisé dans l'économie agricole, Gilbert Rullière enseigne la gestion et l'économie du financement des entreprises à l'université de Lyon-I.