Le second détonateur a été la prise de conscience des opérateurs que la croissance des entreprises était fondée sur de graves déséquilibres macroéconomiques, à savoir sur les déficits jumeaux (commercial et budgétaire) américains ; si ces déséquilibres sont corrigés, les entreprises doivent s'attendre à des difficultés et à un ralentissement de la croissance. De cela, les opérateurs ont déduit dans leur ensemble que la hausse des cours boursiers allait s'interrompre. La convergence des anticipations a joué alors dans le même sens, celui de la baisse.

Optimistes et pessimistes

Pendant l'année 1988, des discussions se sont engagées au sujet du déclenchement et des suites du krach du 19 octobre 1987 ; elles ont donné lieu à un affrontement entre deux thèses : l'une pessimiste et l'autre optimiste. Pour les pessimistes, comme beaucoup de conditions d'ordre économique et psychologique étaient réunies, le krach ne pouvait pas être évité, et, si beaucoup de ces conditions subsistent encore, le risque d'une autre crise ne doit pas être exclu.

Une fois déclenchée, la crise boursière a été aggravée par la révision collective des anticipations (à la baisse) et par des ventes programmées et informatisées (program trading) de telle sorte qu'a joué un processus cumulatif à la baisse. En outre, l'interconnexion des places financières a contribué à propager à travers le monde des baisses des cours boursiers. Dans la mesure où les graves déséquilibres macro-économiques (les déficits jumeaux américains) ont subsisté, les pessimistes persistent à croire qu'une crise, pas nécessairement financière, peut survenir à tout instant (une crise des changes par exemple, en cas de récession).

Les optimistes justifient leur attitude en s'appuyant sur les faits : pas plus sur le moment que par la suite, en 1988, l'éclatement de la bulle spéculative n'a exercé d'effets défavorables sur l'économie réelle ; la crise financière ne s'est pas étendue aux autres secteurs d'activité. En outre, la crise boursière a eu une influence salutaire sur les marchés financiers ; elle les a assainis, ce qui pourra freiner la spéculation à l'avenir.

Le spectre de 1929

Hantées par le spectre de la crise de 1929, les autorités monétaires américaines avaient déclaré laconiquement mais solennellement, le 19 octobre 1987, qu'elles fourniraient « toutes les liquidités nécessaires au fonctionnement de l'économie et des marchés financiers ». Elles craignaient que la baisse brutale des cours des actions et l'abondance des ordres de vente (à la baisse) ne désolvabilisent, comme dans les années 1930, un trop grand nombre d'agents économiques et placent des établissements financiers en état de cessation de paiement. La Réserve fédérale injecta alors 10 milliards de dollars ; le fonctionnement des marchés ne fut pas interrompu et le prix des actions clôtura à la hausse le 20 octobre 1987. La panique avait été enrayée.

Les leçons de la crise

La crise boursière a assaini les marchés financiers dans la mesure où elle a éliminé les intermédiaires bancaires qui ne présentaient pas de garanties suffisantes et qui intervenaient comme des parieurs ; en effet, ceux-ci assurent la liquidité du marché grâce seulement à leurs fonds propres ou aux prêts que leur accordent les banques commerciales. Leur situation est très aléatoire.

Sur ce plan, le krach a été une sévère correction technique, qui doit inciter les établissements financiers qui ont survécu à la tourmente à plus de prudence. De plus, les entreprises cherchent moins à placer leurs disponibilités immédiates dans des produits financiers aussi risqués ; elles choisissent plutôt des placements plus sûrs et en général plus liquides.

Depuis le krach du 19 octobre 1987, différents facteurs ont exercé une influence compensatrice : le recul du prix du pétrole a accru la rentabilité des entreprises et a stabilisé les prix, étouffant ainsi les tendances à l'inflation. En second lieu, les ménages n'ont pas diminué leur consommation et beaucoup d'entre eux n'ont pas tenté de réaliser les pertes subies ; d'autres les ont d'autant mieux acceptées qu'ils avaient gagné beaucoup antérieurement ; enfin, certains se sont résignés.