Les théologiens révolutionnaires du COE vont influencer nombre de pasteurs des Églises évangéliques d'Allemagne, où règnent déjà une série d'idées proches de celles que l'on veut développer. On va manipuler les Églises et leurs pasteurs pour qu'ils appellent les fidèles à la dénucléarisation, à la démilitarisation et à la neutralisation de l'Allemagne occidentale.

Certes, tout ceci peut apparaître normal pour une Église de pays industrialisé. Ce qui l'est moins, c'est l'insistance de certains milieux protestants, en RFA, à entonner ces thèmes en utilisant les mêmes raisonnements que ceux que l'on retrouve dans les divers organes de la presse communiste. Il est vrai que le monde protestant est minoritaire en RFA, alors que dans le Reich il représentait les deux tiers de la population et que dans une confédération allemande il retrouverait cette situation dominante. Cela explique peut-être certains comportements plus ou moins inconscients.

Or, la bataille pacifiste et le mouvement national-neutraliste se placent dans une perspective parallèle. L'URSS sait parfaitement qu'elle serait la première bénéficiaire de la neutralisation de l'Europe centrale ; aussi cette propagande, qui est encouragée par la RDA, est-elle aujourd'hui sérieusement renforcée par les nombreuses institutions protestantes. Sans l'appui de ces dernières, jamais le fameux appel de Krefeld de 1979 n'aurait été signé par 1 200 000 personnes.

La gauche socialiste et la RDA

Depuis une dizaine d'années, ces thèmes sont devenus les fondements du programme de politique extérieure des Verts et, depuis 1982-83, celui du SPD. Comment s'explique cette mutation, que trop d'observateurs de l'Allemagne contemporaine ont négligée ? Deux raisons nous paraissent essentielles : l'apparition d'un mal allemand et la disparition de la scène politique d'un homme d'État d'envergure, Helmut Schmidt. Traumatisé par l'accueil que lui réservèrent ses jeunes coreligionnaires au Kirchentag de Hambourg en 1981, battu de fait lors du congrès de Munich de Pâques 1982 par la gauche marxisante et national-neutraliste, Helmut Schmidt jeta le gant à l'automne et renonça au pouvoir, refusant de se battre contre l'aile gauche de son propre parti.

Le SPD a toujours été, sous une forme ou sous une autre, favorable à la réunification. Pendant de longues années, pour ménager une possibilité de regroupement, il se prononça systématiquement contre les premières démarches unitaires en Europe : il vota contre l'entrée de la RFA dans le Conseil de l'Europe, contre la CECA et contre la CED. Dès 1945, Kurt Schumacher se prononçait pour une attitude franchement national-démocrate, et le SPD optait pour la perspective nationale qui, sous le nom d'Ostpolitik, allait devenir de 1969 à 1974 le leitmotiv de la diplomatie du chancelier Willy Brandt.

Cette politique, en dehors de cérémonies spectaculaires et d'un traité par lequel la RFA et la RDA se reconnaissent mutuellement, n'a guère été suivie de résultats concrets. Mais elle favorise l'infiltration du national-neutralisme dans l'esprit d'une partie du peuple allemand.

Le national-neutralisme était facilité à gauche par la lente marxisation de la pensée et de la culture allemande. L'arrivée dans la vie active d'étudiants souvent formés par l'Est avant 1961 a largement contribué à cette évolution, d'autant qu'ils jouent un rôle non négligeable aujourd'hui à la direction du SPD comme dans la vie culturelle, presse, édition, littérature, cinéma. En témoigneraient, depuis le congrès de Munich de 1982, le poids, à la tête du SPD, des anciens Jusos (militants de l'aile marxiste des années 1966-1970, exclus en leur temps). Naturellement, gauchistes, pacifistes, écologistes trouvent ici l'appui d'une partie de la droite allemande, tout comme celui de la RDA. C'est ce que démontre simplement l'apparition d'une multitude de revues, tel Wir selbst, organe « gauchiste » de droite, qui réclame « un traité de paix interallemand » et la « paix pour l'Europe ».

Les Verts pour une confédération interallemande

Depuis 1974, les mouvements écologistes tiennent un langage analogue. Longtemps divisés en fractions profondément désunies, ils essuyèrent une série d'échecs. Alors, bon gré mal gré, les écologistes allemands se regroupèrent en une seule organisation, les Verts (die Grünen), qui regroupe les amis de la nature, réels défenseurs de l'écologie, les écolo-marxistes, les écolo-féministes, les écologistes néonazis (les nostalgiques de l'idéologie Blut und Boden), les écolo-réalistes. Ces derniers souhaitent l'institutionnalisation du parti et son intégration au système parlementaire, mais ils sont minoritaires et ont été battus lors des derniers congrès. Dans l'ensemble de l'Allemagne, le mouvement écologiste enregistre une croissance lente jusque vers 1977, puis celle-ci devient rapide entre 1977 et 1979 ; elle s'effondre en 1980 en raison de graves dissensions internes, mais triomphe en 1983 et 1984.